NOUS SOMMES CENSURÉES
Génésique. Féminologie III, des femmes-Antoinette Fouque, 2012 (Poche, 2021)
Initialement paru dans Tel Quel nº 58 (été 1974), puis dans la mensuelle Des femmes en mouvements nº 12-13 (décembre 1978-janvier 1979). Alors que viennent de paraître les premières publications des éditions des femmes, et de s’ouvrir, à Paris, la librairie des femmes, ce texte ré-explicite la démarche pratique et théorique dont naissent ces initiatives et les questions dont elles sont la mise en oeuvre.
La pratique du groupe « Politique et psychanalyse » interroge depuis plusieurs années, dans le Mouvement de Libération des Femmes, le rapport des femmes et de l’écriture autour des thèmes d’expérience tels que :
– Structure du viol et Nom-du-Père : illégitimité et programmation psychotique des femmes.
– L’hystérique : la torture politique / la question psychanalytique.
– Dora, Anna O…, elle, telle ou telle, telle quelle : sujet de la non personne et/ou personne non assujettie.
– Le corps et le discours : discours sur le corps/corps discursif (pertes, menstrues… etc).
– L’homosexualité : père/mère – mère/femme/fils – femme/fille – femme ; de l’homosexualité mâle universelle à une économie du désir autre, qui pense la dépense (« libido 2 »).
– Analyse des textes de Freud, Lacan, Mélanie Klein : questionnement de la pratique et de la théorie psychanalytique dans son articulation à la réalité de nos luttes (en groupes de travail non mixtes au Mouvement de Libération des Femmes depuis cinq ans, et en groupes de travail mixtes à l’Université de Vincennes en 1970, 1971, 1972, pour lutter contre le sectarisme féministe).
Jusqu’à maintenant, seuls les corps des femmes écrivent par symptômes, quand, langue coupée, signifiant sans voix, elles sont censurées par l’Histoire.
Nous sommes censurées, pour mieux y être exploitées, de la production textuelle et théorique par les capitalistes de l’édition, de l’inconscient, du sens (éditeurs bourgeois, psychanalystes révisionnistes, intellectuels homosexuels mâles), tous opportunistes, qui, depuis leur morte structure vampirisante, prétendent nous paterner, nous convertir, nous identifier.
Dans la foulée de la réactivation de la lutte des classes en Mai 68, nous nous sommes mises à hurler ; notre révolte a pris la parole, nos mains se déparalysant, pour en tracer quelques signes.
L’initiative a été prise de faire une maison d’édition, des femmes, pour que le plus grand nombre puisse inscrire dans l’Histoire notre place spécifique, ancrée dans la lutte de toutes, non subordonnée à la masculinité qui nous opprime, qu’elle soit le fait d’un homme ou d’une femme.
Nous ne voulons pas promouvoir des noms d’auteurs, devenir des écrivains, ni patronner en tant qu’éditeurs les textes et la lutte des autres, mais tout à la fois, lire, écrire, fabriquer, diffuser les textes qui pousseront plus avant notre travail révolutionnaire.
Vive la lutte des femmes, vive la lutte des classes
en mai 1974.