IL Y A DEUX SEXES

Il y a deux sexes. Essais de féminologie, Gallimard collection Le Débat, 1995 et 2004 (édition revue et augmentée), Poche Folio n°161, 2015 (édition revue et augmentée)

Conférence extraite du colloque « Lectures de la différence sexuelle », organisé en octobre 1990, au Collège international de philosophie, à l’initiative du Centre de recherches en études féminines de Paris VIII.

à Antonia, ma grand-mère maternelle,
à Vincente, ma mère,
à Vincente, ma fille.

« Si nous pouvions renoncer à notre condition corporelle et, purs êtres pensants venant par exemple d’une autre planète, saisir les choses de cette terre d’un regard neuf, rien ne frapperait plus notre attention que l’existence de deux sexes parmi les êtres humains… »

Sigmund Freud (La vie sexuelle)

 

GESTATION D’UNE PENSÉE,
PENSÉE D’UNE GESTATION

On naît fille ou garçon. Je suis née fille, le 1er octobre 1936, d’une mère analphabète et géniale, et d’un actif militant du Front populaire. Le jour de ma naissance, la flambée était terminée, Franco prenait le pouvoir en Espagne.
Ma mère, je l’ai occupée dès ma conception, le 1er janvier 1936 (pour les Chinois, conception vaut naissance) ; j’ai donc vécu le Front populaire en elle, à travers elle, et à travers aussi sa colère de cette troisième grossesse, imposée à presque quarante ans. Elle avait été un garçon manqué, et j’attentais à sa liberté. Très tôt, elle m’a parlé de ses rêves, de ses cauchemars pendant sa grossesse : son enfant n’avait pas de pieds.
Je suis née fille, dans une culture de haute tradition orale et écrite, le grand Sud méditerranéen, berceau des monothéismes et de la démocratie, où seuls Dieu et l’homme ont droit de cité. Je le sais de naissance, d’enfance, d’adolescence : dans les rues de Marseille il y a la présence brutale des garçons et l’agressivité violeuse des hommes. L’école et le lycée me le confirment, et la religion catholique à laquelle « j’appartiens », avec son Dieu en trois personnes, ou trois personnes comme un seul homme. Le masculin précède absolument…
En deçà, la force inouïe de ma mère n’existe que pour moi. Ma mère est française par le mariage, mal naturalisée, et moi je suis reconnue bachelière puis certifiée professeur par la démocratie ; mon identité dérive dans le code juridique, loin de mon site naturel, vers un internement culturel toujours à refaire. J’accède à l’ennui bâillonnant de l’égalité, en prenant soin de m’interner moins qu’à moitié. Pas de devenir femme possible à travers, avec, dans, par les savoirs de ces apprentissages familiaux, scolaires et universitaires.
Rien ne semble pouvoir me faire échapper à ce cercle maudit, ni l’analphabétisme convaincu de ma mère, ni la première passion pour une jeune fille, vitale et destructrice, homosexualité naïve dont je prévois trop tôt peut-être l’impasse lesbienne, ni un mariage d’amour. Tout semble devoir toujours revenir au même, même les poètes qui me voudraient mère.
La Loi, que j’en sois victime ou complice, est aveugle et sourde à mon besoin le plus élémentaire : exister. J’ai un choix entre esclavage et absolue maîtrise, hystéro-féminine ou homo-psychotique, ou bien hétéro-féministe ou homo-lesbienne. Je me crois au milieu du chemin de ma vie, je me sens perdue.
Il y a vingt-sept ans, j’allais avoir vingt-sept ans (aujourd’hui, je viens d’avoir cinquante-quatre ans), la grossesse m’est tombée dessus. Nécessité plus que hasard, chance plus que malchance, épreuve en tout cas, qui m’oblige.
Dix ans auparavant, j’étais tombée malade : diagnostic étiologique flou, origine prénatale, maladie préhistorique latente, éveillée par un rappel de vaccin pendant mon adolescence et qui affectera définitivement et de manière croissante ma motricité, maladie contractée du temps où ma mère rêvait que je n’avais pas de pieds, maladie (forme de sclérose en plaque) qui, à l’époque, entraînait une contre-indication de grossesse et constituait un motif d’avortement thérapeutique. Aujourd’hui, on s’adresserait à une mère de substitution, une mère porteuse. Je tente ma chance ; puisque je suis passée à l’acte, je passe outre. J’ai le désir de faire un enfant. J’ai peur aussi. L’angoisse et l’espérance ne vont jamais l’une sans l’autre ; c’est le sujet de mon mémoire de D.E.S. En regard des deux, la jouissance a du mal à se nommer, mais je la pressens à ce tournant.
Je mets au monde, le 3 mars 1964, une fille en parfaite santé (elle va avoir vingt-sept ans) ; son père et moi sommes d’accord pour lui donner le prénom de ma mère, comme j’avais reçu de mon père celui de ma grand-mère maternelle… Antoinette, disait-il, Vincente, avons-nous répondu ; (A.V., initiales en miroir vertical formant un X, l’X central de son prénom à lui, ou un losange, symbole femelle). Le mot muet de chair qui a hanté toute ma grossesse (fruit de vos entrailles, chair de ma chair), accompagnant la peur de transmettre ma maladie, la panique de la contamination, engrammé dans ces initiales, déclenche la rêverie autour des pensées latentes d’une généalogie femelle, d’une généalogie de la pensée.
Je paierai très cher le risque pris, même si dans un premier temps ma santé s’est paradoxalement, et contrairement à toute prévision médicale, améliorée. La responsabilité d’enfanter fera ma marche plus chancelante. Mais ce que je perdrai en marche, je le gagnerai en approche de ce qui, du plus loin que je me questionne, me préoccupe.
Le travail inconscient de la gestation a été pour moi, par sa dynamique, une régression à vocation de réintégration et de restauration narcissique et un facteur de transformation et de prise de conscience identitaire : je suis née fille et re-née femme d’avoir enfanté une fille, assumant ainsi, malgré l’oppression de toutes les institutions symboliques renforcées par le dictat d’un certain féminisme), le destin psychophysiologique de mon sexe.
Ces éléments autobiographiques ne sont pas là pour parler de moi ‑ qui ça, moi, en 1964 ou même aujourd’hui ? ‑, mais pour me tenir au plus près de ce que je pourrai intimement connaître des identifications et de la désidentification d’un être supposé femme.
La grossesse comme expérience, m’a confirmé de manière plus exaltante que je n’aurais jamais pu l’imaginer, qu’il y a bien deux sexes. Si un homme et moi avons conçu, réellement, fantasmatiquement, symboliquement et légitimement ensemble, j’ai dû fabriquer seule, pendant neuf mois. Au jeu sexuel et au « plaisir d’amour », a succédé un travail du corps intense et incessant, que mon état ne m’a pas permis d’oublier une seconde, et une activité de pensée qui, pour être flottante, élémentaire, chair, en un mot, le plus souvent inconsciente, voyante, aveugle, très souvent aussi préconsciente, prévoyante, et trop rarement consciente, nette, comme l’attention à laquelle mon prénom qui en est l’anagramme me prédispose, une activité de pensée qui ne m’a pas lâchée, tout le temps de la gestation, attente et gestion à la fois, où je nous ai fait la promesse, à nous trois, de tenir jusqu’au terme.
Consciente qu’un premier cycle s’est accompli par cet événement, je me mets en chemin, une fois encore en terre des hommes, à la recherche d’instruments à forger pour approcher ce qui pense en moi sans moi.

 

LES OBSTACLES

Au niveau symbolique

 

C’est au moment où j’ai toutes les raisons d’être convaincue qu’il y a deux sexes, et qu’aucune mesure d’égalité n’absorbe les différences, que j’apprends que très officiellement il n’y a qu’une libido, et qu’elle est phallique.
Voilà ce qu’affirme le seul discours existant sur la sexualité : Freud, renforcé par Lacan, renforcé par Françoise Dolto, plus phalliciste que le Phallus absolu.
Silence équivoque des autres qui, de temps en temps, suivant les mouvements, les lieux ou les opportunités, dénoncent, mais ne s’attellent pas vraiment à la tâche d’élaborer. Elisabeth Roudinesco signale bien quelques tentatives, mais qui n’ont jamais vraiment fait école.
Autrement dit, en psychanalyse, on ne naît pas femme (comme le disait également, d’un point de vue différent, mais néanmoins convergent, Simone de Beauvoir), on naît petit garçon, ou plutôt petit garçon châtré. Dans cette perspective, l’identité féminine ne peut être qu’une identité dérivée et négative puisque déterminée par l’absence ou l’insuffisance d’un équivalent pénien (selon Freud et Lacan).
Dans l’espace du monisme phallique, on est pris dans l’alternance : phallique pour le garçon, châtrée pour la fille. L’ordre (la loi) de la castration ordonne l’économie du phallus à laquelle toute jouissance et, partant, tout désir sont suspendus, comme le dit Lacan. A partir du moment où les femmes se reconnaissent comme châtrées -dans le réel- ou comme castrables -symboliquement-, elles sont légitimées, fût-ce négativement, dans l’ordre phallique. Bien des femmes préfèrent donc se désigner à cet endroit, plutôt que de penser un ordre symbolique complémentaire de l’ordre phallique.
Le stade génital, stade de maturation psychophysiologique de la sexualité, à partir duquel je suis en mesure d’engendrer du vivant est assimilé au stade phallique, c’est-à-dire au stade génital infantile du garçon, caractérisé par l’intérêt pour son propre sexe. Du coup, la prise en compte, symbolisation et élaboration, de la dimension et de l’activité utérines, sans laquelle l’accès au stade génital est proprement impensable pour une femme, est rendue impossible.
L’utérus est pensé, non comme un organe actif/productif et symbolisable comme tel, mais comme un pur « lieu » (on parle couramment de « milieu » utérin) et qui plus est, ainsi que nous le dit l’étymologie du mot, comme un lieu « qui est en arrière » (usteros), pré-historique, pré-natal, qui appelle et n’appelle qu’à la régression. La génitalité femelle est donc renvoyée à du biologique pur, du naturel-matériel pré-psychique ou préverbal (et même pré-pré-verbal). Ce lieu, pour qui n’imagine rien au-delà du phallus, est fantasmé comme l’absolument en deçà, comme le trou noir du continent noir et pire encore comme générateur de psychose, de « bruit blanc ». Or ce lieu utérin ne demeure définitivement « en arrière » ou « derrière soi » que pour celui qui en est sorti sans retour et qui n’a vécu le contact avec lui que sur un mode essentiellement passif : le fils. Pourtant dans l’espace de la programmation phallique, tout se passe comme si homme et femme ne pouvaient penser la mère ‑ le corps ou la chair maternelle ‑ que comme (mi)lieu ou objet pour l’enfant, seul sujet.
Et cependant, la parturiente n’est pas un objet, pas plus que l’enfant n’est un objet pour elle : la femme qui procrée et accouche ne reste pas « en arrière » ; elle travaille, elle accompagne, elle est avec et va au-devant du sujet qui vient. Ce faisant, elle ne fait pas retour dans le corps maternel ; elle intègre ce corps premier à l’intérieur d’elle-même, au moment où elle se projette en avant et au-dehors, en procréant.
Si les femmes ne repèrent que la borne phallique, si elles ne comprennent pas la nécessité (psychique, non biologique) de s’engager dans un processus de régression-réintégration identitaire qui seul permet d’échapper à la logique de l’identité phallique, elles ne pourront pas véritablement progresser. Soit elles deviendront des « filses » (fils manqués), soit elles demeureront des hystériques (littéralement, celles qui souffrent de/à l’utérus) souffrant à la fois par amnésie et réminiscence, comme d’une amputation mal faite du matriciel, puisque c’est de la coupure ‑ avec l’utérus ‑, de sa forclusion, qu’est censé s’ordonner tout sujet, et non de son intégration à l’ensemble du processus de maturation s’achevant par une génitalité adulte hétéronomique.
Ce processus de régression-réintégration est en quelque sorte mis en abîme quand une femme engendre une fille. Mais seule une femme qui engendre un fils a vraiment droit au titre de mère dans l’imaginaire culturel. Autrement dit, ce n’est pas la procréation qui fait d’une femme une mère, c’est sa désignation et sa place à l’intérieur de la structure patriarcale et de la transmission patronymique. De même, on ne pense le passage de la jeune fille à la femme que dans son rapport à l’homme (qui la dépucelle/l’épouse/la légitime), et non dans sa capacité de procréation : c’est décidément le moment syncopé, le trou noir d’une pensée qui n’aime pas à (se) penser.
On pourrait presque dire que « de la femme » (c’est-à-dire, non pas le concept, mais la réalité à la fois singulière et commune de chaque femme) n’a pas lieu, n’a pas encore eu lieu dans l’histoire, car même ce que l’on appelle « féminin » n’est, le plus souvent, qu’une métaphore, une représentation (une recréation ou une fabrication) fantasmatique de la femme par l’homme, voire un genre que se donne l’homme, c’est-à-dire un travestissement. Une certaine féminité ‑ qui s’affiche et se marchande comme telle ‑ n’est pas l’expression d’une parole intérieure, d’un corps ou d’une jouissance de femme : c’est le genre que se donne en retour la femme pour l’homme, imitant ainsi, par un effet de redoublement, celui qui la recouvre en l’imitant. D’où, aussi, la logique psycho-politique d’un certain lesbianisme (à distinguer d’une véritable homosexualité féminine) que je décris comme un contre-travestissement (sur le modèle d’un contre-investissement), puisqu’il consiste non à chercher le(s) lieu(x) de la femme en soi, mais simplement à redoubler le processus d’inversion imaginaire, à échanger un fétiche contre un autre.
C’est pourquoi je préfère l’adjectif femelle (tel qu’il est conservé et utilisé en anglais dans female writing) à l’adjectif « féminin » : le mot « femelle » ne renvoie pas pour moi la femme au registre d’un biologique pré-psychique ou ante-culturel ; il me permet de donner à entendre, dans l’enceinte du pensable et du culturel ‑ qui définit l’humain même ‑, l’œuvre de corps ou de chair qui échoie spécifiquement aux femmes.
Il ne s’agit pas de faire de l’anti-phallique ou de l’anti-œdipe, ce qui reviendrait à prôner l’abolition du phallus. Le stade phallique de la petite fille (voire de la femme) qui correspond sur le plan de la sexualité à l’activité, clitoridienne, est au moins aussi structurant pour la fille que pour le garçon. Mais il n’est pas terminal, contrairement à ce qui se passe pour le garçon. Et pour l’homme même, y a-t-il une autre raison à son désir d’érection infinie, qu’un fantasme de pur prestige et de pouvoir sur le sexe dit faible, et sur la nature. On peut donc contester que le stade phallique soit considéré comme le terminus de la spéculation, et même l’idée qu’il serait le stade ultime pour l’homme, en mettant en question la réduction, pour lui aussi, du génital au phallique.
Le phallus, représentation du pénis, détaché du corps et en érection imaginaire perpétuelle, est un fantasme narcissique. Il est érigé et maintenu comme tel pour exprimer la résistance à la castration et surtout le déni de la différence des sexes et du corps en travail, support de cette érection. Fiction en contradiction avec la réalité du sexe et la capacité procréatrice et co-créatrice de la chair femelle. Il devient aussi simulacre d’un quatrième stade qui occulte la réalité de cette « quatrième dimension » qu’est, pour la femme, la dimension (le stade et la chose) utérine. Il est le signe de la dénégation, non seulement du principe de réalité, mais du réel lui-même. En ce sens, on peut dire que l’organisation phallique est en réalité pré-génitale. L’idée de phallus est proprement métaphysique et signifie son primat sur la matière pensante/procréante. C’est une illusion de la psychanalyse.
L’homme adulte ne peut qu’admettre la flaccidité, post-érective, de son pénis réel. L’économie du « pénis génital » intègrera cette réalité en lieu et place du fantasme barbare de castration (comme punition sadique-anale au priapisme phallique). L’homme adulte devra renoncer, en même temps, à la résistance à la castration (défense narcissique du petit garçon) et à la maîtrise corporelle et psychique sur la gestation durant le temps où elle a lieu.
Mais Dieu, dans le fantasme de ceux qui l’ont imaginé, ne veut pas renoncer à la maîtrise de la gestation. La Bible regorge d’exemples de sa folie de maîtrise : après avoir tiré Eve de la côte d’Adam (une genèse à l’envers qui n’étonne toujours pas grand monde), et donc n’avoir octroyé à la femme qu’une « identité dérivée » et pas d’identité propre, il ouvre et ferme à volonté l’utérus des matriarches (Sarah est stérile jusqu’à cent ans ; Abraham a donc besoin d’Agar pour engendrer Ismaël, son fils aîné mais illégitime pour Dieu ; puis Sarah devient féconde et engendre Isaac -c’est la racine du conflit actuel entre Israël et la Palestine, le Judaïsme et l’Islam) ; puis Dieu condamne la femme adultère (elle risquerait d’introduire dans la famille un enfant qui ne serait pas du père) ; enfin Dieu concède que son fils-fait-homme ait une mère charnelle à condition qu’elle reste vierge, comme Athéna ou la Diane des Éphésiens, mais privée de divinité. Tout cela est trop connu pour que j’insiste davantage.
On sait que les Églises n’ont jamais cessé d’affirmer leur maîtrise sur le corps des femmes, mais on oublie volontiers que les états aussi ont cette folie de la maîtrise de la gestation : certains interdisent l’avortement, d’autres imposent la stérilité. Existe-t-il un seul état qui ne légifère pas sur le corps des femmes ?
Alors comment penser et mettre en œuvre l’indépendance symbolique des femmes ? En refusant la symétrisation égalitaire, il s’agit de se projeter comme partenaires possibles d’une symbolisation hétérosexuée, plutôt que comme jumeaux châtrés, dans un ordre immobile et décrété immuable.
Mais vouloir penser la part propre à chaque sexe dans la production de vivant-parlant (de l’humain), réclamer à la fois la reconnaissance des différences et l’égalité économique, politique, culturelle et symbolique des femmes et des hommes, c’est se heurter, à tous les niveaux, et pas seulement au niveau symbolique, aux machines théorico-politiques à neutraliser, c’est-à-dire à recouvrir la réalité et l’expérience sexuées des femmes, au nom du dogme du monisme phallique.

 

Au niveau des imaginaires artistique et scientifique

La production génitale (c’est-à-dire la production de vivant-parlant ou l’anthropoculture[1] dont la charge et la responsabilité reviennent, aujourd’hui encore et dans le monde entier, en presque totalité aux femmes) semble étrangement reléguée à l’arrière-plan dans l’échelle des valeurs symboliques et culturelles où règne, en souveraine absolue, l’organisation prégénitale du petit garçon, dans laquelle le sadisme et l’érotisme anal jouent le rôle conducteur.
L’imaginaire de la création artistique (et en particulier littéraire), imitant la fable théologique de la Genèse, redouble la forclusion de la production utérine en fantasmant sa production comme idéalisation, ou au mieux comme sublimation/transposition de l’activité anale : terre, boue, merde et or s’échangent à plaisir, s’équivalent à l’infini, se substituent pour conforter le fantasme de toute-puissance de Narcisse, que sa figure soit celle de Dieu, du poète, du philosophe, du psychanalyste ou d’un quelconque fils-despote.
« J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or » disent, chacun à leur manière, le poète (en l’occurrence Baudelaire qui résume ainsi son entreprise poétique de transmutation capitalisante dans Les Fleurs du mal), et le théoricien de l’économie capitaliste. Mieux vaut donc produire de l’or (verbal ou socio-matériel) que de la chair pensante ; à moins que morcelée, fétichisée, marchandisée, la production de vivant, esclave, déniée quant à son origine femelle, ne se transforme en industrie florissante par la magie de la technique. On ne compte plus les banques de sperme, de sang, d’organes et on parle couramment de capital humain, d’or rouge, d’or gris.
Il s’agit de faire écran à l’inassouvissable envie d’utérus[2] du Créateur, des créateurs, sauf à se faire, comme tout vrai poète, transsexuel imaginaire, inventeur d’une poétique du réel. Cette tentation transsexuelle est aussi, aujourd’hui, celle du physiologue, du savant ‑ René Frydman, par exemple, des « bébés-éprouvette » à Ma Grossesse, mon enfant[3], titre de son dernier livre ; dans l’ordre de notre civilisation métaphysicienne, prégénitale et prépensante, toute création tendrait à s’imposer comme expropriation, exploitation, substitution de-à la procréation, qui la hante.

 

Aux niveaux économique et social

Il semble donc tout naturel que la même censure ordonne le domaine économique et social, où notre organisation hyper-productiviste pénalise, professionnellement et symboliquement, les femmes. Ne sont considérées comme actives que les femmes qui ont une activité professionnelle, fût-ce celle d’élever des enfants autres que les leurs. Les femmes qui font les enfants et effectuent le travail domestique sont comptées comme population inactive ! Dans aucun pays, la production de vivant, le travail de renouvellement des générations, de renouvellement de la richesse humaine par les femmes, ne figure dans le Produit national brut. Les productions de leur corps, leurs forces de travail, ne sont valorisées qu’en entrant dans un cadre technique ou industriel qui oublie femme et origine : la femme comme origine du vivant-pensant. Cependant que la démographie, discipline des sciences sociales et économiques, se fonde prioritairement sur le concept de « taux de fécondité par femme ». Telles sont les contradictions, les incohérences, les aberrations des sciences humaines qui continuent de s’ériger sur des fantasmes infantiles.
D’autre part, les femmes ont moins que jamais le contrôle de la création propre à leur corps. En même temps qu’elles la dénient, les sociétés traditionnelles continuent d’en faire une production esclave, et les sociétés avancées de l’exploiter sur un mode techniciste, industriel et capitaliste.
Il ne s’agit évidemment pas de revendiquer un salaire maternel, mais de refuser la dissociation entre femmes déclarées actives ou inactives, de refuser l’exploitation éhontée de celles qui font les enfants, et de poser le concept de triple production des femmes, en majorité trois fois travailleuses dans notre société ; il s’agit de prendre en considération la grossesse dans ses dimensions économique et sociale, mais aussi éthique et universalisante.

 

Au niveau politique

Le fonctionnement de nos démocraties est beaucoup moins connu que celui des religions, et pourtant les mythes fondateurs de la démocratie athénienne continuent d’évangéliser ou d’impérialiser le monde, à travers la culture et le théâtre en particulier, par ses principes fondamentaux d’autant plus agissants qu’ils nous sont aujourd’hui cachés, inconscients, refoulés.
Que racontent Les Euménides, troisième et dernière pièce de L’Orestie ?

  1. Oreste, qui a tué sa mère, Clytemnestre, qui avait tué son époux, Agamemnon, en partie parce qu’il avait sacrifié leur fille Iphigénie, sera innocenté par la déesse vierge Athéna, jouira d’un « non-lieu », retrouvera son royaume et deviendra l’allié privilégié d’Athènes.
  2. Les Érinyes, déesses vengeresses du matricide, en devenant les Euménides, perdront tout pouvoir. Exit le matricide comme crime.
  3. À l’exemple d’Athéna née de son seul père, Zeus, qui avait avalé son épouse sur le point d’accoucher pour accoucher à sa place, les Athéniens autochtones naîtront de la terre-mère, sans femmes. Et la démocratie athénienne, on le sait, exclura du droit à la citoyenneté, les esclaves, les métèques et les femmes.

Nulle part ailleurs que dans Les Euménides ne sont exprimées, avec autant de clarté, de précision, de rigueur, d’arrogance, la défaite mythique, historique et politique des femmes, la dictature virile qui fonde le modèle démocratique hanté, dès l’origine, par l’exclusion de l’autre, par l’envie d’utérus, par la haine de la femme-mère et l’expropriation et la forclusion de son corps comme lieu de création de l’être humain, du vivant-pensant.
Le corps des femmes est forclos au profit de la terre-mère, puis on laisse Gaïa en dehors de la symbolisation. La franc-maçonnerie, qui est un des agents idéologiques majeurs de démocratisation et de laïcisation, en particulier en Afrique noire, exclut les femmes de ses obédiences principales, s’affirme comme résolument monothéiste et, dans les rites initiatiques des loges mixtes ou féminines, laisse l’élément terre à l’extérieur du temple de lumière.
« Liberté, égalité, fraternité » : avec la grande révolution, nous sommes rentrés depuis deux siècles en Occident dans l’ère de l’affirmation simultanée de l’individu (« liberté ») et de l’universel (« égalité »). Désir d’identité et désir de l’identique s’affichent d’un même mouvement. Dieu et le Roi sont morts (ou, du moins, reconnus mortels), et le coup porté au monothéisme théocratique et étatique a favorisé l’éclosion de mouvements de libération individualistes, en même temps que d’élans de solidarité (ou plutôt de reconnaissance mutuelle) égalitaristes. Un peu plus tard, socialisme et féminisme font leur entrée sur la scène politico-culturelle, et plus récemment le mouvement de Mai 68 qui parachève cette évolution en favorisant la formation de fratries narcissiques, c’est-à-dire en insistant à la fois sur la fraternité (entre les hommes) et sur le droit à l’expression sans limites ‑ le pouvoir ‑ d’un moi souverain, marqué et constitué en fait du côté du phallus : Le graffiti soixante-huitard, « Le pouvoir est au bout du phallus », est relayé aujourd’hui par le NTM (« Nique ta mère ») du groupe de rappeurs-tagueurs, superstar au Zénith de Canal-Plus, et subventionné par le ministère de la Culture.
Tout cela me donne à penser que nous, femmes, et hommes, sommes passés, au mieux, d’un régime patriarcal à un régime filiarcal, ou fratriarcal. Le féminisme c’est la revendication d’une égalité indifférenciée, stéréotypique, modelée sur les images prêtées par le pouvoir en place pour la satisfaire, parfois en, et parfois sans, connaissance de cause de cette hégémonie fratriarcale. Or, si l’affirmation de la différence sans l’égalité ne produit que de la hiérarchisation et de l’archaïsme réactionnaires, il m’a toujours semblé qu’une égalité incapable de prendre en compte les différences, ne produit que de l’hom(m)ogénéisation et de l’assimilation, littéralement stérilisantes pour celles qui ont uniquement choisi/envie de faire comme leurs soi-disant semblables, leurs frères.
Pour produire de la vie, symboliquement et réellement, ne faut-il pas que l’Un se mette en rapport avec l’Autre ? Les apôtres du grand Neutre, qui occupent en ce moment la scène médiatique occidentale, amalgament à dessein la réclamation d’une reconnaissance de la différence des sexes et les manifestations de nationalismes séparatistes et autres intégrismes qui se font jour un peu partout dans le monde. Or, l’histoire d’hier et d’aujourd’hui montre que le nationalisme n’est pas le contraire, mais bien le corollaire, l’envers spéculaire, de l’individualisme universaliste. L’aspiration à la souveraineté indivise, source des conflits et des guerres d’aujourd’hui, procède de la même logique narcissique, immune à toute division, que la prétention républicaine à réduire chaque autre à l’un, dans une communauté une et indivisible.
Enfin, l’affirmation, en méconnaissance de réalité et d’inconscient, que la catégorie du sexe n’existe pas (ou plus), et qu’il n’y a que des individus, tous semblables mais travaillant chacun pour soi, renvoie chacune et chacun à la forme d’individualisme la plus étroite et la plus égoïste, et prive les femmes de la capacité de reconnaître la misogynie et de lutter ensemble, c’est-à-dire politiquement, contre elle.
Pour compléter ce bref tableau de notre évolution politico-culturelle, j’ajouterai, qu’en Occident, tout ceci me semble s’accompagner et se renforcer, au niveau économique, du basculement d’une économie industrielle proprement dite (qui relève de cet imaginaire anal de la production que j’ai brièvement décrit tout à l’heure), dans une économie de marché intégral qui implique l’absolue domination de la valeur d’échange, autrement dit, encore de l’ordre de la représentation, de l’effet-fétiche ou effet-or – ce que d’aucuns ont pu décrire comme l’avènement d’une société (du) spectacle.

 

Au niveau juridique

Si, dans l’ordre phallique, l’identité des femmes est pensée comme une identité dérivée, dans l’ordre juridique, qui commande l’organisation sociale et le discours politique, elle n’a même pas droit de cité (ni de citation). Les femmes en France, sans parler des autres pays, ne sont toujours pas reconnues comme telles par la loi (ou le droit) : elles n’ont pas encore pleinement accès à la citoyenneté, et, au-delà, à l’existence symbolique, puisque notre Constitution ne mentionne même pas le sexe parmi les distinctions entre êtres humains ayant droit au respect et à l’existence civile.
En voici le préambule du 27 octobre 1946 :

Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après : La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme.

Or, il ne saurait y avoir de véritable égalité, comme le montre, a contrario, ce préambule, qu’à condition de distinguer d’abord, au principe, symboliquement, en les nommant, ceux et celles-là même qui seraient promis à une égalité, à une non-discrimination juridico-politique, autrement dit, il ne saurait y avoir de véritable égalité, plénière et concrète, de parité en fait, que compte tenu des différences. L’indifférence, elle, ne cesse de produire de nouvelles discriminations. Les effets pervers de la symétrisation et de la neutralisation égalitariste ne se remarquent même plus, tant la misogynie institutionnelle reste impensée.
Le droit ne cesse d’inhiber le politique. Il nous faut donc revenir sur les principes qui le fondent pour en analyser les contradictions, les incohérences, les dénis et les dénégations, pour en dévoiler l’immaturité, tant il est vrai que les principes démocratiques fondés sur un universalisme neutre et abstrait, en contradiction avec ses propres idéaux, aboutissent, quant au pouvoir symbolique, à un véritable apartheid sexuel. L’universalité tiendrait en revanche au fait que les sujets de droit sont biologiquement, donc ontologiquement, puisqu’il s’agit d’êtres humains, sexués. Le monisme juridique reconnaît socialement qu’il y a des femmes, sans le reconnaître symboliquement ; tout comme le catholicisme reconnaît la Vierge Marie comme sainte et ne la reconnaît pas comme divine.
En refusant de sexualiser la condition de citoyen de la République, le droit, par référence inconsciente au dogme monothéiste, dénie névrotiquement la réalité, la recouvre d’un voile d’ignorance plutôt que de l’affronter par un travail d’analyse de ses présupposés philosophiques, autrement dit un travail de démocratisation. Il autorise ainsi une dénégation de toutes les atteintes aux droits des personnes dans la sphère, pour lui inexistante puisqu’il l’a forclose de son fronton, de la différence des sexes. Comme tout objet forclos du symbolique, cette différence ne cesse de hanter le réel d’un pouvoir symbolico-politique psychotique, incapable de répondre, avec justesse et justice, aux questions que l’existence historique des femmes, désormais ineffaçable, pose à la démocratie.
Et n’est-ce pas cette misogynie constitutionnelle qui fait que la misogynie quotidienne n’est toujours pas reconnue comme un délit, contrairement au racisme ? Tous les jours dans le monde, sévit la peste misogyne[4]. Ici, maintenant, on humilie, on méprise, on vend, on bat, on déporte, on torture, on viole, on inceste, on tue des petites filles, des jeunes filles, des femmes, parce qu’elles sont nées femmes, non pour ce qu’elles sont, mais pour ce qu’elles ont la capacité de faire, des enfants. Et c’est un tel scandale que cela paraît scandaleux de le dire, de l’évoquer. La faiblesse des peines (allant souvent jusqu’au non-lieu) sanctionnant les meurtres liés au matricide, ou au sororicide, reproduisent chaque jour au niveau juridique, le coup de force symbolique et politique qu’a constitué le passage des Érinyes aux Euménides.
Dans le mutisme et l’immobilisme général que déchire de temps en temps l’éclat de rire d’un animateur de télévision, comment ne pas penser à Robert Antelme qui écrit dans L’Espèce humaine :

On peut brûler les enfants sans que la nuit remue. Elle est immobile autour de nous, qui sommes enfermés dans l’église. Les étoiles sont calmes aussi au-dessus de nous. Mais ce calme, cette immobilité ne sont ni l’essence ni le symbole d’une vérité préférable. Ils sont le scandale de l’indifférence dernière[5].

Devant l’importance grandissante des crimes commis contre les femmes, qu’il faudra bien considérer comme des crimes contre l’humanité, Amnesty International a introduit, dans ses statuts internationaux, la catégorie de sexe à côté des catégories de race, de croyance et de religion.
Il est donc urgent de modifier le préambule de notre Constitution pour que les femmes conquièrent véritablement le droit au droit. Car le sens et le rôle de la loi est aussi de nommer, de désigner, de reconnaître, d’arracher au silence, à l’oubli, au déni. Le droit à un droit non-dérivé ferait des femmes les sujets d’un droit propre qui reconnaîtrait et légitimerait (comme en ce qui concerne l’identité) leur fonction spécifique de productrices de vivant, garantes (jusqu’à nouvel ordre) non seulement de la survie, mais aussi de la vie de l’espèce humaine, en progrès ou en régression selon que ce Droit est respecté ou violé.
Cette reconnaissance plénière de la capacité « supplémentaire » des femmes, de leur personnalité intégrale, justifierait que la procréation, ainsi symboliquement fondée, devienne à son tour un droit universel de la personne, en lieu et place d’un devoir démographique, droit qui inclurait nécessairement le droit à l’avortement.
Il faudrait inscrire au frontispice de toutes les Constitutions du monde : « Tout être humain, quels que soient son sexe, sa race, sa religion ou sa croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ».

 

Au niveau du langage

On le sait, dans le langage (au moins dans les langues indo-européennes), c’est le vocable « homme » qui répond de l’humain. Au nom de l’humain la « femme » ne peut pas répondre. Il y a bien, en français, deux genres ‑ masculin et féminin ‑ mais ces genres ne renvoient pas aux sexes (à la réalité sexuée) même s’ils jouent, si on les fait jouer, à leur place. Et puis, dans la grammaire française, le genre masculin l’emporte sur le genre féminin, et même l’annule, dès que du masculin ‑ il suffit d’un seul élément ‑ prend place aux côtés du féminin.
Il n’y a donc qu’un seul langage et deux corps sexués différemment qui sont tous deux la proie de ce même langage. Syntaxe et lexique démontrent, s’il en était besoin, que le langage non plus n’est pas neutre, ou que sa neutralité, une fois encore, se marque au masculin. Si la neutralité du langage n’est pas neutre, la logique du discours l’est encore moins, comme l’a montré Jacques Derrida qui désigne son mécanisme sous le nom de « phallogocentrisme ». Et maintenant, après l’adjectif « femelle », c’est la marque du féminin que la langue tend à oublier de plus en plus souvent. C’est constant à la télévision, mais très fréquent ailleurs aussi.
La question du sujet de l’écriture ‑ qui parle, qui écrit quand « j »’écris ? ‑ est infiniment complexe, et je ne prétends pas lui rendre justice ici. Il est certain qu’à tous moments, nos écritures, nos représentations, et bien sûr nos paroles, sont en accord ou en désaccord avec la contrainte que le corps impose à la langue et à ses effets de fantasmes. Né(e) fille ou garçon, on devient femme ou homme, mais aussi masculine ou féminin, fil(le)s de mère ou de père. C’est tout le problème de la distance du genre au sexe, des identifications complexes dont se structure, se compose chaque sujet ; en somme, il faut prendre en compte ici la dimension de la bisexualité psychique. Cela dit, et justement, écrire ne sera jamais neutre.
J’aimerais formuler, ici, maintenant, une hypothèse que vous trouverez probablement choquante, et pourtant… Je me demande si, comme le laissait entendre Jean-Jacques Annaud dans La Guerre du feu, ce ne sont pas les femmes qui ont inventé le langage. Des anthropologues ont montré qu’elles étaient à l’origine de l’agriculture et de la pêche, pendant que les hommes étaient à la chasse et à la guerre. Je pense que les femmes sont des anthropocultrices qui ont, pendant le temps de la grossesse, et ensuite, en parlant au fœtus et à l’enfant, inventé et transmis le langage articulé. En effet, si l’on considère la question de l’adresse philosophique du parler à, on est amené à penser à la patience d’écouter l’autre et de lui parler. Or une femme enceinte écoute forcément le fœtus, et lui parle. C’est, pour moi, la scène inaugurale de la langue.

 

POUR UN NOUVEAU CONTRAT HUMAIN

Ma pensée s’organise donc autour de la soumission à un principe de réalité qui pourrait s’énoncer ainsi : Il y a deux sexes et ils sont irréductibles l’un à l’autre. Cette irréductibilité se fonde sur la dissymétrie de l’homme et de la femme quant au travail de la procréation, quant à l’expérience de la gestation, comme lieu et temps spécifiques de l’accueil de l’autre, de l’hospitalité et de la responsabilité quant à l’infamilier, comme origine commune où, pour l’espèce humaine, s’entend la généalogie de la pensée, s’annonce et se prononce l’avènement de l’éthique : la gestation comme paradigme du penser à l’autre.
Cette réalité est déniée à tous les niveaux par notre civilisation, qui fonctionne sur une affirmation totalitaire selon laquelle il n’y a que de l’un, il n’y a que de l’un sans une, il n’y a que de l’un sans autre. Reconnaître cette réalité ‑ il y a deux sexes ‑ nous ferait passer d’une histoire homosexuée, répressive, inégalitaire et excluante, à une histoire hétérosexuée, féconde et juste, nous ferait passer de l’ordre ancien érigé par les fils, au nom du père puis du frère, à une nouvelle civilisation. Pour cela, il faut travailler à la formation d’une nouvelle analytique et d’une nouvelle éthique de la procréation.

 

L’analytique de la procréation

Elle passe, comme je l’ai déjà suggéré, par l’élaboration d’une théorie de la génitalité pour chaque sexe, qui prenne en compte la constitution de la génitalité « femelle » ‑ et même de la génitalité mâle ‑ au-delà de la borne phallique et qui par conséquent admette dans son champ d’enquête et de réflexion ce que j’appelle le stade utérin, correspondant à une « libido utérine », ou libido femelle. Je l’ai longtemps appelée « libido 2 », mais après tout, la femme précède ; venue avant, elle avance.
Imaginez un processus tertiaire, une sorte de principe d’étrangeté ou d’intégration, qui déplacerait la fixation au deux, dans l’oscillation entre le deux et le trois ; une nouvelle donne qui, rappelant la femme oubliée, intègre, au lieu de la forclore, sa capacité d’accueil, dissout la pulsion d’envie, de haine, et réduit le clivage défensif du moi. On peut en prévoir les effets économiques (sur le sous-développement), politiques (sur la xénophobie) et symboliques (sur la gynophobie). Du nœud vital dénoué au lien vital renoué, c’est-à-dire au contrat humain, de la contrainte par corps au contrat de libre association.
Ni transit oral-anal quotidien, ni procrastination, mais progression (sans doute ce qui pousse la génitrice au processus de réintégration des pulsions), le temps génital est un temps historique et politique, strict : neuf mois, pas plus ; scansion, maturation, terme et décision. Il est le temps historique de la conception, plutôt qu’une conception historique du temps. Il est le temps des femmes, le temps de la promesse qui peut être tenue. Le temps pour comprendre, pour se dégager dans l’ouvert de la fécondité, pour prendre avec soi la femme, la mère, la sœur ou la fille.
Un tel tournant épistémologique devrait entraîner, en bonne logique, une reformulation des rapports du sexe, du corps et de la psyché, dans leur articulation, séparée et commune, à l’ordre culturel. D’une part, en effet, parce que l’utérus (la fonction et l’organe) pour être génital, n’en est pas moins sexuel (jouissance utérine) ; matrice du vivant, il est à la fois le sexe qui joue et qui jouit, le corps en travail et la chair pensante. D’autre part parce qu’une telle analytique de la production du vivant, qui ne séparerait le biologique ni du psychique (à la fois comme inconscient et langage, car la femme en gestation, faut-il le rappeler, est un être parlant) ni, à un autre niveau, du symbolique, donnerait sa pleine dimension culturelle à une activité vitale pour l’avenir de notre espèce, sa généalogie, sa mémoire, sa transmission et son histoire. Autrement dit, elle permettrait de mettre fin au règne de la culture comme métaphysique, opposant création et procréation, valorisant l’une contre l’autre, et pensant l’existence et la fonction des deux sexes selon cette ligne de partage.
C’est à la condition que création et procréation, génialité et génitalité, conceptions sur/de la chair et chair qui conçoit, ne soient plus antagonistes et divisées, qu’hommes et femmes ensemble pourront élaborer une éthique de la procréation et une esthétique de la création sans se prendre l’un pour l’autre.

 

L’éthique de la procréation

Pour parvenir à la formulation d’un nouveau contrat humain qui prenne en compte toutes les dimensions, physique, juridico-sociale et symbolique de l’existence des vivants-parlants, il faut d’abord penser, au niveau de l’organisation collective, cet impensé de nos sociétés qu’est la production du vivant. Il faut en dessiner, pratiquement et théoriquement, l’économie, bref inventer une gynéconomie (ou féminologie, avec un champ épistémologique plus large) comme science humaine de la part qui revient aux femmes dans la/dans toute production.
Les enfants de la terre, après un contrat social très insuffisant, se soucient aujourd’hui d’une nouvelle alliance avec la nature ; l’écologie des éléments, des végétaux, des animaux, des humains, se préoccupe d’un « contrat naturel », vital. Au commencement étaient les eaux et les eaux sont polluées. Au commencement était l’air et la couche d’ozone se déchire. Au commencement étaient les forêts, et les forêts disparaissent…
Au commencement, pour chacun d’entre nous, a été le corps d’une femme. Mais nombreuses sont les pollutions (les irradiations, le sida etc.) qui atteignent, chez des millions de femmes enceintes, les eaux amniotiques et le placenta, cette première membrane protectrice et nutritive de l’être humain.   La pollution mentale, psychique, à côté de ces pollutions physiologiques, transforme la « capacité de rêverie » des mères, leur fonction de sublimatrices, leur activité d’anthropocultrices en névroses stériles, en excitations désertifiantes.
Le corps maternel est le premier environnement, le premier milieu naturel et culturel, physiologique et mental, charnel et verbal. C’est le premier monde accueillant (ou rejetant) où se forme, se crée, grandit l’être humain. C’est la première terre, c’est la première maison qu’il habite. La chair vivante, parlante et intelligente des femmes est la première matière pensante, en même temps que la première usine, la plus formidable machine de production. Quel génial ordinateur que l’utérus connecté au cerveau, au système hormonal, à tous les organes, mais aussi à l’appareil psychique, à l’âme, à l’amour ! La chair créatrice est comme un cinquième élément, la quintessence qui contient les quatre éléments naturels ‑ l’eau, le feu, l’air et la terre ‑ et qui les sublime. La gestation est le lieu et le temps, unique, de la commune et universelle origine de notre espèce.
Comme le corps il y a vingt ans, la chair n’est toujours pas considérée. La chair veut la jouissance du sexe, veut la caresse des mains et du corps, veut l’œuvre de la chair : la présence pleine au creux du corps, pas l’incorporation, la double incarnation réciproque, le désir accompli, le projet vécu, la sexualité au-delà du sexe, le oui et le non ; elle est voyante et invisible ; elle fait couple et découplaison ; elle est mémoire, élément pensant, en incessante maturation du soi et du non-soi, préméditation et prévoyance, élément sensible, réminiscence anticipée, lexique des affects, pré- et ré-apprentissage, source, organisation, gestion des passions, régénérescence des pulsions ; creuset des sens et des sensations, transfert-contre-transfert d’humeurs, d’affects et de pensées entrelacées, chiasmées, elle lie et délie, appelle et trie, retient et délivre ; archive et pré-histoire, elle veut le tout mais modèle le singulier ; son inconscient se structure comme le penser ; la chair est hospitalière, non seulement elle accueille l’hôte, mais économe, tolérante, stratège, tacticienne, gestionnaire, rêveuse et enthousiaste, elle l’informe, elle le forme, elle le nourrit, l’équipe, l’arme, ne le retient au dedans que pour mieux l’accompagner, le rendre au dehors, à lui-même comme unique. Tout contretemps au génital serait dommageable.
Ainsi, de même que l’écologie tente d’établir un contrat de droits et de devoirs entre l’être humain et la nature, le « contrat humain » tel que je l’ai proposé plus haut, devrait permettre l’établissement de nouveaux droits et de nouveaux devoirs entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les uns et les autres, et ces sujets transitoires que sont les enfants. Car la production du vivant est tripartite, le deux ne doit pas exclure le tiers, et l’humain adulte est à la fois le fruit de sa double origine hétérosexuée, de sa double lignée et de l’enfant qu’il/elle fut. Le nouveau contrat humain renouerait le lien vital avec le lieu et le temps matriciels, ferait les hommes et les femmes partenaires d’une alliance multiple : alliance entre elles, entre eux, entre elles et eux et alliance avec leur nature propre.
Il ne semble pas qu’il y ait d’éthique possible sans travail sur (je dis bien travail sur, et non retour à), l’origine.

Ainsi serait possible, sinon une sortie du symbolique (dans la mesure où symbolique implique le deux, cette sortie ne semble pas nécessaire), du moins une refonte du symbolique, s’ouvrant et s’articulant, autour du champ sémantique de la gestation, sur/à la réalité, il y a deux sexes.
La gestation comme génération, geste, gestion et expérience intérieure, expérience de l’intime, mais aussi générosité, génie de l’espèce, acceptation du corps étranger, hospitalité, ouverture, volonté de greffe ré-génératrice ; la gestation intégratrice, a-conflictuelle, post-ambivalente des différences, modèle d’anthropoculture, matrice de l’universalité du genre humain, principe et origine de l’éthique ; la gestation, conception charnelle et spirituelle de l’autre, toujours déjà sujet, plutôt que la Genèse, cette fable autiste que les hommes et les religions du Livre lui ont substituée ; la gestation, transformation au présent, vers un futur réel, non utopique ; la gestation, attention vivante et expérience hétéronome, qui sait faire place en soi, au non-soi ; la gestation, promesse de l’être à venir ; la gestation, enfin, paradigme du « penser le prochain », paradigme de l’éthique et de la démocratie.

Que pouvons-nous, femmes, en ces temps de désespérance, de stérilité ? Agir, nous ne le pouvons guère ; nous faire entendre, nous ne le pouvons pas beaucoup plus ; mais penser, nous pouvons toujours nous y exercer. Peut-être pourrions-nous essayer de passer là où l’hystérie nous a toujours mises en impasse ; peut-être pourrions-nous essayer de réussir, là où l’hystérique a toujours échoué. En commençant par avancer déjà cette proposition.
C’est la symbolisation de ce que le tout-un exclut, la symbolisation de notre savoir forclos quant à la pensée première, de notre savoir forclos quant à l’expérience de la gestation comme épreuve, qui peut, non seulement produire un dépassement des totalitarismes monistes, mais qui peut aussi promouvoir un mode de pensée éthique, au-delà des modes de pensée animiste, religieux et scientifiques.
Permettez-moi, ensuite, d’exprimer quelques souhaits : plutôt que les mythologies de la Bible et de la Grèce qui falsifient l’origine en substituant à la gestation femelle des genèses fabuleuses et amatrides, plutôt que des démocraties unisexes et matricides, nous voulons un processus de démocratisation qui reconnaisse l’irréductible différence des sexes, la dissymétrie et le privilège des femmes dans la procréation, qui fasse de la procréation un droit universel, qui rétablisse la réalité, la vérité de l’origine humaine, charnelle et sexuée, qui exprime sa gratitude envers les femmes pour leur apport unique à l’humanité dans sa généalogie, sa mémoire, sa transmission en progrès, sa capacité de penser.
Nous voulons une démocratisation qui reconnaisse le génie des femmes quant à leur génitalité et leur identité propre, qui considère que la gestation est le paradigme d’une éthique de la générosité où le corps étranger, l’autre, est accueilli par une greffe spirituelle autant que charnelle, modèle de toute greffe, où l’autre est aimé et créé comme proche et prochain.
Nous voulons une démocratisation qui reconnaisse que la reproduction est en fait une production, une production de l’autre à travers soi et de soi à travers l’autre ; qui considère que ce geste, cette geste de la gestation, doit se situer hors de toute spéculation technique et marchande et de toute pollution dévastatrice ; qu’elle doit être protégée par une nouvelle alliance des humains avec les femmes, par un contrat humain qui garantisse la pérennité de notre lien vital au matriciel (en arabe et en hébreu, le même mot désigne la matrice et la miséricorde).
La gratitude, comme relève de l’envie, est la vertu athéologale que je préfère. La gratitude est le sentiment « poéthique » même, autrement dit la « re-co-naissance » dans sa polysémie infinie : le naître à nouveau, le venir à naître, la naissance à venir (le « pro-naître » de la procréation) et aussi la naissance ensemble, l’investigation, la découverte, la connaissance etc.
Au moment de vous remercier de m’avoir écoutée, j’aimerais vous lire une lettre de Martin Buber, à Emmanuel Levinas, que celui-ci cite dans Noms propres et où se développe une pensée déjà exprimée par Paul Celan, en 1958, dans son Discours de Brême[6] :

De nouveau est venue pour moi l’heure de la peu commune gratitude. J’ai beaucoup à remercier. Ce me fut l’occasion de méditer une fois de plus sur le mot remercier. Son sens ordinaire est généralement compris, mais il se prête assez mal à une description qui le définisse sans équivoque.
On voit aussitôt qu’il est de ces mots dont le sens originel est multiple. Aussi éveille-t-il diverses associations dans des langues diverses.
En allemand et en anglais, le verbe – « remercier », danken et thank, se trouve en rapport avec denken et think, au sens d’avoir une pensée, se souvenir de quelqu’un : celui qui dit : je te remercie ‑ ich danke dir ‑ donne à son interlocuteur l’assurance de le garder en sa mémoire et, plus précisément, en sa bonne mémoire, d’amitié et de joie ; d’une façon significative, l’éventualité d’un souvenir autrement teinté n’entre pas en ligne de compte.
Il en est autrement pour l’hébreu. La forme verbale hodoth signifie d’abord se rallier à quelqu’un et, ensuite seulement, remercier. Celui qui remercie se rallie à celui qu’il remercie. Il sera maintenant, il sera désormais son allié. Cela inclut, certes, l’idée du souvenir, mais implique davantage. Le fait ne se produit pas seulement à l’intérieur de l’âme, il en procède vers le monde pour y devenir acte et événement. Or, se rallier ainsi à quelqu’un, c’est le confirmer dans son existence.
Je me propose de vouer une mémoire reconnaissante et me rallier à tous ceux qui m’ont adressé leurs bons voeux pour mon quatre-vingt-cinquième anniversaire.

Jérusalem, février 1963[7].

Le XXIe siècle sera géni(t)al ou restera narcissique et meurtrier, et ne sera pas.

 

[1] J’ai trouvé cette année, dans les Eléments de physiologie de Diderot, à l’article « Raison », une belle définition de l’anthropoculture : « La raison, ou l’instinct de l’homme, est déterminée par son organisation, et par les dispositions, les goûts, les aptitudes que la mère communique à l’enfant, qui pendant neuf mois ne fait qu’un avec elle ».

[2] Depuis que j’ai formulé ce concept d’ « envie d’utérus », qui apparaît dès 1970 dans un tract-programme de recherche de Psychanalyse et Politique », je n’ai cessé d’en dégager les implications politiques et psychanalytiques. Cette avancée théorique a été récemment et pour partie reprise par l’anthropologie contemporaine.

[3] René Frydman et Julien Cohen-Solal, Ma grossesse, mon enfant. Le livre de la femme enceinte, Paris, Odile Jacob, 1989.

[4] Cf. L’article intitulé « La peste misogyne », p.95.

[5] Robert Antelme, L’Espèce humaine, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1957, p.116.

[6] Paul Celan, Poèmes, Paris, Mercure de France, 1986.

[7] Cité par Emmanuel Levinas, Noms propres, Montpellier, Fata Morgana, 1975.

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