NOTRE MOUVEMENT EST IRRÉVERSIBLE

Il y a deux sexes. Essais de féminologie, Gallimard collection Le Débat, 1995 et 2004 (édition revue et augmentée), Poche Folio n°161, 2015 (édition revue et augmentée)

Texte ouvrant les Etats généraux des femmes, le 8 mars 1989, à la Sorbonne, à l’occasion de la Journée internationale des femmes.

Aujourd’hui, 8 mars 1989, nous sommes réunies dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, pour célébrer deux événements majeurs :
– le 8 mars, journée internationale des femmes, qui se fête désormais partout dans le monde ;
– 1989, le bicentenaire de la Révolution française et de la Déclaration des droits de l’homme.
Le 8 mars 1857, à New York, des couturières descendaient dans la rue pour dénoncer l’exploitation dont elles étaient victimes. Elles exigeaient la réduction de leur temps de travail (de seize heures à dix heures par jour !) et des salaires égaux à ceux des hommes.
En 1910, Clara Zetkin proposait que le 8 mars devienne Journée internationale des femmes, en hommage aux femmes américaines, mais aussi pour que chaque année une journée soit consacrée à leurs revendications. L’année suivante, le congrès de la IIe Internationale socialiste approuvait cette proposition. Désormais, le 8 mars était la Journée internationale des femmes.
Le 8 mars 1982, nous avons tenu ici les premiers Etats Généraux des femmes contre la misogynie. Venues d’Egypte, de Bolivie, des Etats-Unis, d’Autriche, d’Algérie, d’Iran, de Corse, d’URSS, d’Irlande, des femmes de toutes conditions sociales et convictions politiques ont témoigné contre l’oppression misogyne, et affirmé la nécessité d’une lutte indépendante des femmes.
Nous avons choisi l’institution, définitivement subversive, qu’est la Sorbonne, pour que, de la conjugaison de ces deux dates s’amorce, ici et maintenant, la relance d’une dynamique de libération et de démocratisation, féconde pour le plus grand nombre de femmes.
C’est en effet dans une dynamique, engagée en France, il y a vingt et un ans, par deux ou trois femmes, suivies par des dizaines de milliers, que s’inscrit l’initiative de l’Alliance des femmes à toutes celles et tous ceux qui, aujourd’hui, de la salle ou de la tribune, vont s’exprimer dans ce colloque.
Certains disent qu’il faut trente ans à un système de pensée pour s’affirmer. Il ne me parait pas abusif d’estimer qu’au moins autant de temps sera nécessaire à un Mouvement comme celui des femmes, pour vaincre, sinon définitivement, du moins durablement, la plus ancienne des oppressions, celle des femmes, par ce qu’il est convenu d’appeler le patriarcat, mais qu’en nos temps modernes, je nommerais plus volontiers le filiarcat ou le fratriarcat ; puisque aussi bien c’est grâce à de nouvelles fratries que les ligues monothéistes, politiques et symboliques continuent à nous exclure du Droit, de la Cité, et de la Langue.
Il nous reste donc encore dix ans, la dernière ligne droite avant le troisième millénaire, pour accomplir une part de notre tâche historique, accomplir, c’est-à-dire à la fois transformer en buts définitifs les essais que nous avons marqués, mais aussi et surtout passer le relais à nos filles.
Si tous aujourd’hui, historiens et politologues, biologistes et philosophes, s’accordent à penser que le plus important de tous les changements qui affectent notre civilisation à la veille du troisième millénaire, c’est la transformation irréversible des relations entre les hommes et les femmes, plus rares sont ceux qui ont la loyauté d’attribuer une telle mutation, la plus radicale depuis la décolonisation et la chute de l’empire européen, au Mouvement des femmes.
En effet, si nous avons su utiliser les avancées technologiques de la contraception comme levier de notre indépendance biologique, c’est pour les avoir accompagnées d’une prise de conscience, d’une réflexion et d’une action politique, pour les avoir articulées avec une véritable maturation psychique, affective, physiologique, sexuelle, culturelle, en un mot : humaine. Les femmes ont transformé un simple progrès technologique en un mouvement de civilisation ; elles ont fait muter une révolution « chaotique » en un élan évolutionnaire permanent et infini. Et ce ne sont pas seulement les rapports entre hommes et femmes qui ne seront plus les mêmes, mais ceux de la triade humaine, femme-homme-enfant.
Ce qui reste donc encore masqué aujourd’hui, pour ne pas dire dénié, c’est la fonction initiale, c’est le rôle dynamique du Mouvement des femmes dans cette transformation. Ce M.L.F., si décrié, défiguré, dénaturé, méjugé, diffamé, a bien été pourtant l’origine, le moteur, le responsable des événements les plus positifs qui aient transformé la condition humaine de notre société depuis vingt et un ans.
L’honnêteté des historiens consistera désormais à reconnaître que le Mouvement des femmes a non seulement revigoré des institutions existantes, par exemple le Planning familial, engagé bien avant 1968 dans la bataille de la contraception, mais aussi alimenté et infléchi la pensée contemporaine, de la psychanalyse à la littérature, en passant par la philosophie, et enfin engendré d’autres mouvements : le M.L.A.C., mouvement d’hommes et de femmes qui a relayé le M.L.F. dans la lutte pour la dépénalisation de l’avortement, sans abandonner l’information sur la contraception ; Choisir qui, reprenant un de nos premiers thèmes de réflexion, a forcé la loi à reconnaître le viol comme un crime.
Les partis et l’Etat, en voulant gagner ce Mouvement de vitesse, l’arrêter ou le détourner à leur profit, l’ont en fait légitimé en créant et recréant depuis quinze ans un féminisme institutionnel : du secrétariat d’Etat à la Condition féminine, inauguré par Valéry Giscard d’Estaing en 1974 et attribué à Françoise Giroud, une mitterrandienne, au ministère plénier des Droits des femmes, attribué en 1981 par François Mitterrand à la très féministe Yvette Roudy. C’est aussi un des effets du Mouvement des femmes que beaucoup aient pu accéder, souvent il est vrai, par l’effet du Prince, du Chef de parti, du Père, du Frère ou de l’ami, à des instances politiques dirigeantes. C’est enfin un des effets de ce Mouvement et de sa vigilance à maintenir le droit nouvellement acquis des femmes à disposer d’elles-mêmes, après le vote de la loi Veil, en 1974, qu’un électorat traditionnellement conservateur se soit mobilisé pour la première fois du côté du parti du progrès social, en 1981.
L’honnêteté, des syndicalistes aux psychanalystes, serait de reconnaître le vent de liberté et d’indépendance tant libidinales, sexuelles, affectives qu’économiques, professionnelles et politiques, que ce Mouvement a fait souffler sur les mœurs et les mentalités. Cette fameuse « montée de solitude », dont la droite, en particulier, nous a rebattu les oreilles ces dernières années, pourrait bien être une attitude plus positive qu’ils ne veulent le faire croire. Beaucoup de femmes estiment désormais qu’il vaut mieux vivre seule qu’en abusive compagnie. La montée des solitudes est une réponse efficace à la montée des narcissismes. Une solitude volontaire a de fait remplacé une servitude millénaire. Après Virginia Woolf, chacune a tenté d’affirmer son droit non seulement à une « chambre à soi », mais à une « libido à soi », une « identité à soi », une « langue à soi », pour que l’histoire veuille bien considérer qu’il y a deux sexes, et que cette hétérosexualité, cette hétérogénéité est la condition de la richesse, de la fertilité de l’humanité.
Né dans la foulée de ce que je continue à appeler la révolution de 68 – car il s’agissait bien d’entrer dans une ère nouvelle -, le M.L.F. a toujours dû lutter à contre-courant, ou bien en avant des courants réactionnaires ou franchement fascisants de cette révolution. Cette ère qui a découvert en Mai la notion de fraternité, après celle de liberté et d’égalité, a instauré en fait le temps des fratries fratricides autant que fraternelles, d’où les femmes sont d’autant plus exclues que, d’être différentes, elles n’étaient toujours pas et ne seront peut-être jamais égales. Du priapisme aux graffiti de Mai 68, au narcissisme des mâles-stars télévisuelles, l’ère qui se préparait risquait d’être pire pour les femmes que le capitalisme pour les ouvriers.
A contre-courant de nouvelles directions qui se sont annoncées en 1968, au moins pour tout le vingt et unième siècle, le M.L.F. portait donc un coup fatal à Narcisse, le quatrième coup après les trois coups énoncés par Freud, c’est-à-dire les révolutions copernicienne, darwinienne et psychanalytique. C’est ce que j’appelais autrefois la révolution du symbolique, la destitution des équivalents généraux qui dénient qu’il y a deux sexes, que la production de vivant est tripartite, et qui interdisent l’accès à une parité hétérosexuée dans l’histoire.
Le M.L.F., en mettant, dès ses premières réunions, la mère en mouvement, la notion de mère en travail, en tentant, comme nous le disions dès 1968-1970, de « libérer la femme dans la mère », en affirmant qu’elle n’était « pas toute au fils », ou que « le père ça n’existe pas », portait atteinte à la toute-puissance narcissique infantile, sur quoi se fonde le primat du phallus. C’est dans cette atteinte à la toute-puissance narcissique du fils que résidait « une difficulté du M.L.F. », comme Freud parlait d' »une difficulté de la psychanalyse » à propos de l’atteinte portée au moi par la découverte de l’inconscient. C’est non seulement en théorie mais en pratique que nous leur portions atteinte, au Père et au Fils, en refusant de continuer à nous constituer en supports de leur castration, autrement dit en hystériques. Au moment où ils croyaient nous confiner à cette place, nous avions cessé d’y être.
Les difficultés internes n’en existaient pas moins. Nous les femmes, exclues-internées de cette civilisation (selon le concept élaboré par Jacques Derrida), nous avions à la fois à traiter notre relation à notre propre origine et à avancer, à penser et à agir, à produire à chaque instant plusieurs gestes contradictoires, à nous déployer dans plusieurs directions et sur plusieurs plans complexes, pour ne pas dire paradoxaux. C’était le temps, ça l’est peut-être encore, des luttes pour l’égalité et/ou pour la différence. Ces luttes étaient de véritables casse-tête, de véritables casse-cœur. Nous étions quelques-unes à penser que la différence sans l’égalité ne pouvait produire que de la régression psychique et de la réaction politique ; mais que l’égalité sans la différence ne produisait qu’une assimilation stérilisante, une amputation psychosexuelle.
A mesure que le Mouvement s’accélérait, s’amplifiait ou au contraire s’essoufflait ou s’enlisait, s’accentuait la tendance à en forclore l’origine, plutôt qu’à l’intégrer. On ne nous laissait pas le temps pour comprendre, pour construire, on nous intimidait ou nous décourageait, on nous sommait de répondre, on nous mettait en ghetto, on réduisait un mouvement de civilisation à une vulgaire mode, on nous assignait la limite de l’égalité comme impasse de notre destin, de même que demain on nous imposera l’uniformité du narcissisme comme seule voie de (sous-)développement.
Quand les femmes ont-elles fait couler le sang dans un monde en permanente déchirure ? Que sont leurs prétendues violences verbales comparées à celles qui s’expriment chaque jour dans n’importe quel journal, et en particulier contre elles ? Pourquoi une telle intolérance à des luttes sororicides, quand chaque jour les luttes fratricides à l’intérieur d’un grand parti sont considérées comme un signe de santé démocratique ? Il semblait qu’aucun écart n’était permis. Nous devions être les très parfaites. Nous avions « tout faux ».
On ne s’étonnera pas que le Mouvement des femmes dans son ensemble ait mal résisté à une telle stratégie, concertée, de marginalisation, au point qu’il apparaissait parfois comme antiparlementaire. Spolié de toutes ses victoires, il était rabaissé chaque jour à l’image d’un ghetto d’hystériques. Aux femmes en mouvements, l’indignité, le ridicule, les excès, les abus, les violences ; aux militantes légitimes, mariées à un parti, ou nobles filles d’un prince, la dignité, le prestige, le pouvoir. Aujourd’hui, nous pouvons mesurer combien ces privilèges étaient trompeurs, et ces pouvoirs fragiles, et combien, tant pour écrire l’histoire d’un passé proche que pour frayer de nouvelles avancées, il faudrait, dans un souci épistémologique et politique, reconnaître au Mouvement des femmes, dans sa diversité proliférante, dans sa masse à la fois divisée et rassembleuse, sa force inspiratrice, son dynamisme vital, et son indépendance novatrice.
Aujourd’hui, à l’oppression et à la misogynie millénaires, s’ajoute la répression déchaînée par nos premières conquêtes. En France, chaque jour, on rabaisse, on exploite, on exclut, on viole, on bat, souvent à mort, on tue, soi-disant par passion, des femmes.
L’évolution déstabilisante, au Sud, à l’Est, des pays sans passé démocratique, les revendications sauvages d’identités culturelles et cultuelles, la concurrence de toutes les différences au titre d’identités souveraines, à l’exception de celle qui les informe toutes, la différence des sexes, l’exclusion des femmes des aires de pouvoir, donc de visibilité, les renvoyant à un sous-développement de la représentation, l’écart qui se creuse chaque jour davantage entre le faire et le paraître au profit de ce dernier, sont des freins, des menaces à l’avancée des femmes.
Un des symptômes de la révolution de 68, l’entrée dans l’ère « phalliste », apparaît maintenant en pleine lumière. Aux extrêmes, la toute-puissance narcissique s’exprime par une formidable montée de l’intolérance dont on peut présager que, dans cette lutte à mort pour le pouvoir, de pur prestige, elle ne se limitera pas aux intolérances religieuses. Après l’ère de la liberté, et celle de l’égalité, on parle de l’ère de la fraternité, de la solidarité et de la tolérance. « Touche pas à mon pote » s’entend d’ailleurs en écho et en conflit dans « touche pas à mon roman », « touche pas à mon Coran ». A propos de la religion, en l’an I des Droits de l’homme, Mirabeau déjà jugeait utile de faire une mise au point : « Je ne viens pas prêcher ici la tolérance. La liberté la plus illimitée de religion est à mes yeux un droit si sacré, que le mot tolérance, qui essaye de l’exprimer, me parait en quelque sorte tyrannique lui-même, puisque l’existence de l’autorité qui a le pouvoir de tolérer, attente à la liberté de penser, par cela même qu’elle tolère, et qu’ainsi elle pourrait ne pas tolérer. » Cent ans après, en 1882, Renan, à propos de la laïcité, ne craignait pas d’affirmer, péremptoire : « La laïcité, c’est l’Etat neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes et forçant l’Eglise à lui obéir en ce point capital. De l’intégrisme à la « phallaïcité », tolérance et intolérance donnent le tournis à la loi.
Partout, dans le monde entier, la situation des femmes s’est aggravée ; les régressions sont inquiétantes, allant jusqu’à l’abolition des lois édictées en leur faveur. Mais partout dans le monde, les femmes sont conscientes, vigilantes et combatives.
Nous voulons que cesse la barbarie ordinaire et quotidienne. En Thaïlande, contre la vente et la prostitution des petites filles, des femmes construisent une fondation pour les accueillir et leur donner une formation. En Inde, elles luttent contre les lois personnelles qui réduisent les libertés des musulmanes. En Chine, elles se constituent en association de femmes démocrates, pour faire avancer les droits humains. En Algérie, où sévit le Code de la famille, elles se mobilisent contre le port du voile. Aux États-Unis, des centaines de milliers de femmes vont se rassembler à Washington pour réaffirmer le droit de choisir librement leur maternité, donc d’avorter. Ailleurs, certaines ont même conquis le pouvoir politique. En France, des femmes créent, des femmes accèdent à des responsabilités, des femmes luttent : … dans les hôpitaux, des infirmières, des sage-femmes, dans les crèches, des puéricultrices se sont mobilisées, non seulement pour leur salaire, mais pour la reconnaissance de leur savoir et pour leur dignité.
Partout, nous continuons de nous battre. C’est un mouvement irréversible.
La Convention de l’ONU de 1980 sur « l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes » légitime nos luttes et nos actions. Dans les associations comme dans les partis, elle valorise la prise de conscience autant que la prise de pouvoir quand elle proclame que « la discrimination à l’égard des femmes viole le principe de l’égalité des droits et du respect de la dignité humaine, entrave la participation des femmes, dans les mêmes conditions que les hommes, à la vie politique, sociale, économique et culturelle de leur pays, fait obstacle à l’accroissement du bien-être de la société et de la famille et empêche les femmes de servir leur pays dans toute la mesure de leurs possibilités. »
Ratifiée par la France en 1983, elle doit être un relais pour la conquête de nouveaux droits, de nouvelles libertés.

 

Pour en finir avec une « libido dérivée », un « droit dérivé », une « identité dérivée », nous devons travailler désormais à ce que le législateur de la Langue, du Symbolique et du Droit, tienne compte de nos exigences vitales. Il faut :
1 / dans la Constitution, inscrire que « tout être humain, quel que soit son sexe, et sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ».
2 / élaborer une loi-cadre, à partir d’une « Déclaration universelle des droits des femmes ».
3 / à nouveaux droits, nouveaux devoirs : dégager du temps privé pour assurer une présence et une responsabilité politiques[1].
4 / tout cela n’est possible qu’à condition que soit reconnue la production spécifique des femmes. Elles assument pratiquement 100 % de la procréation humaine, et se trouvent pénalisées de ce que cette production doit rester ignorée, forclose. Production symbolique puisque les femmes parlent, et créent des êtres parlants, on peut considérer qu’il s’agit d’une anthropoculture. Exclu de toute inscription sociale, économique, professionnelle, politique, culturelle, ce travail est le dernier des esclavages, la dernière dépense d’une force de travail absolument due au Maître, sans rétribution ni reconnaissance, alors qu’il est le plus formidable apport de richesse de l’humain à l’humanité : la création pensante même. Pénalisées par cette forclusion de la procréation en tant que production-création, les femmes le sont doublement, dans leur activité professionnelle et dans l’activité de création dont on les prive, alors même que la procréation est reconnue par les créateurs comme leur modèle.
5 / continuer de nous former, de nous informer, de transmettre et nous transformer ; créer de nouveaux champs de connaissances, de nouvelles sciences, à l’articulation des sciences pures et des sciences humaines, créer un champ épistémologique : les « sciences des femmes », allant de la gynéconomie[2] à l’élaboration d’un corps de droit spécifique.

Travailler à la démocratisation, c’est travailler à ce que l’État de droit considère cette dissymétrie quant à la procréation, et les affirmations qui en découlent, plutôt que de programmer une égalité idéale qui, sommairement ancrée dans un universalisme assimilateur, restera une ligne d’horizon toujours en fuite. Soyons réalistes : la réalité, c’est qu’il y a deux sexes dans l’espèce humaine, et qu’on ne saurait évacuer un tel principe sans des conséquences extrêmement douloureuses à long terme, quel qu’en soit le plaisir immédiat.
Plus que jamais, nous aurons donc, nous les femmes, à faire des gestes complexes, à mettre en travail la notion d’égalité, à nous construire des identités propres mais hétérogènes, à nous adapter sans nous renier, à nous intégrer en réintégrant aussi notre identité première, sexuée, originelle, au lieu de la refouler, de la forclore, ou simplement de l’ignorer au profit d’un genre ; à nous rassembler, à nous recomposer, plutôt qu’à nous amputer d’une part de nous-mêmes, ou à nous morceler indéfiniment ; à concevoir notre corps comme le lieu unique d’un travail d’inter-création du psychique et du physiologique ; à considérer que notre chair pense le vivant-parlant, qu’elle crée quand elle procrée ; à considérer enfin que ce n’est pas une tare d’être génitale. Ce sera peut-être génial ! Nous sommes dès aujourd’hui la richesse de demain.
Nous voulions, par ce colloque, tenter de relancer, à l’occasion du 8 mars, la dynamique d’un mouvement de femmes qui, malgré tous les obstacles et toutes les répressions, a refusé de s’arrêter. La participation de centaines, de milliers même, d’hommes et de femmes aujourd’hui, concrétise notre espoir d’y parvenir.
Depuis quelques mois, partout dans le monde, en Argentine, au Chili, au Brésil, en Algérie, en Chine, les femmes se mobilisent, à la pointe du combat pour la démocratie. C’est dans l’annonce de cet espoir des années 90, que nous venons de créer l’Alliance des femmes pour la démocratisation.
Nous avons derrière nous vingt et un ans de luttes de libération, nous avons devant nous dix ans de travail de démocratisation pour imposer définitivement notre pensée et notre action et aborder en adultes de l’histoire le XXIe siècle et le IIIe millénaire. Car ce travail de démocratisation ne saurait profiter exclusivement au peuple des femmes.
Nous continuons d’avancer et, en avançant, nous ferons progresser la démocratie.

 

[1] En 1989, nous débattions déjà depuis longtemps de la parité comme moyen et/ou fin d’une réelle égalité en politique, et surtout, nous en avions tenté, cette année-là, une approche en actes, avec la présentation par l’Alliance des femmes pour la démocratie, de deux listes, majoritairement de femmes, aux élections municipales du 12 mars, à Paris (VIème) et à Marseille (IVème). En 1992, j’ai créé le Club Parité 2000 qui a présenté une liste dans les Bouches du Rhône aux élections régionales du 22 mars.

[2] « Gynéconomie » en référence et déférence au travail au travail génial d’Élisabeth de Fontenay, « Diderot gynéconome » (Digraphe, 1978), largement repris dans Diderot, le matérialisme enchanté, Paris, Grasset, 1981.

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