FÉCONDITÉS
Gravidanza. Féminologie II, des femmes-Antoinette Fouque, 2007 (Poche, 2021)
Texte appelant à voter pour Ségolène Royal, dès le 1er tour de l’élection présidentielle, lu le 5 avril 2007 à la Maison de l’Amérique Latine où 22 intellectuels prennent la parole pour expliquer leur vote.
Cette soirée est exceptionnelle. Dans les journaux, sur les plateaux, nous le savons bien, les Intellectuels sont des hommes, exclusivement.
Ici, ce soir, mixité, parité. Double exception, double respect.
Le 8 Mars 1981, et un mois plus tard par une large campagne d’affichage, nous nous sommes manifestées : « avec le MLF : côté cœur, pas de candidat pour les femmes. Côté raison, François Mitterrand dès le premier tour ».
La Gauche était alors, bien sûr, « illégitime ».
L’alternance était capitale.
Ce fut un événement politique.
En septembre 2005, l’Alliance des Femmes pour la Démocratie s’engage : « Côté raison et côté cœur, Ségolène Royal dès le premier tour ».
Aujourd’hui, c’est une femme de gauche, éligible, qui est « illégitime ».
L’autre alternance est donc vitale.
Ce sera, cette fois, un événement historique.
Double élection, double défi.
« Naturellement », la Droite votera à droite ; votera mâle, puisque pas de candidates.
De « grands hommes » (Gallo, Hanin, Glucksmann, Tapie…) qui, autrefois, se croyaient de gauche, voteront Virilité.
Hommes et femmes misogynes, iront vers un Extrême Centre, ni droite, ni gauche, « neutre » ; ni homme, ni femme, « eunuque », « queer » ; voteront donc, droite-homme, castration toute.
La Grande Dame du Centre choisit le Fils libéral, communautariste et eugéniste, contre une femme qu’elle reconnaît « forte et courageuse ».
Limites du féminisme de droite.
Les Extrêmes voteront aux extrêmes.
Nos contemporains, femmes et hommes, cœurs conscients et lucides, appellent à voter pour Ségolène Royal, maintenant.
Depuis vingt ans, sur tous les terrains, nos missions respectives pour la France, l’Europe, les droits humains, se sont croisées partout dans le monde.
De Paris à Pékin, de Strasbourg à Ankara, de Figeac à Rio, ou ailleurs…
Ministre, Présidente de Région, députée, avocate, militante, je l’ai vue, sans cesse en mouvements. Tranquille, harmonieuse, attentive, ouverte, bardée de compétences, riche d’expériences, elle fait face à ses responsabilités, assume toutes les gestions professionnelles et politiques.
Plus la compétence de quatre gestations (aucun essentialisme du côté de ce type d’expérience, mais une véritable culture de la fécondité).
A l’évidence, elle paraphrase Montaigne : « Je suis moi-même la matière de mes actes ».
Au printemps 1992, je la croise Ministre de l’environnement, pour le Sommet de la Terre, à Rio de Janeiro.
Gro Harlem Bruntland, Première Ministre de Norvège, Secrétaire Générale de la Conférence de l’ONU, déclare que les femmes, désignées jusque-là comme victimes et bénéficiaires du développement, en sont désormais les actrices et les productrices principales.
Le développement devient durable, à la fois économique, écologique et humain.
Pour nous, du Forum « Planeta Femea », nous savons depuis longtemps que les femmes, si on abolit leur esclavage, sont capables de faire d’un triple fardeau (maternité, pauvreté extrême, impouvoir) un défi. Qu’elles sont le cœur battant d’une dynamique en « 3D » : démographie, développement, démocratie.
Je revois Ségolène jeune Ministre, enceinte de huit mois. Elle accouchera d’une fille. Elle a dit : « J’aime être enceinte ».
Elle est active, présente, radieuse, libre, légère, dans le vif réel de son corps et des affaires du monde.
« Qu’est-ce qu’une femme ? » se demande Lacan dans le Séminaire sur « Les Psychoses ».
Et il enchaîne : « Il y a tout de même une chose qui échappe à la trame symbolique, c’est la procréation dans sa racine essentielle… qu’un être naisse d’un autre… »
Il invente le Réel et le décrète impossible.
Et si, pour nous, autres, le Réel s’inventait comme possible ?
Et si, au lieu de lui « échapper », la procréation venait enrichir la trame symbolique ?
« Elle avance en marchant » s’inquiètent les journalistes. Improvisation ou performance ?
Et si c’était plutôt qu’elle pense et agit en vivant ? Libération permanente.
De ce côté-ci du réel, la chair pense.
Le premier environnement de chaque humain, c’est la chair matricielle et psychique, ce cinquième élément. Il nous faut le sauver en même temps que la Planète, dont on détruit les quatre autres, en même temps que la flore et la faune.
La gestation, c’est le mouvement même, l’incessant permanent, le devenir de l’a-venir.
Elle est l’hospitalité charnelle, l’hôte reçu et recevant, l’accueil d’un corps étranger dans le corps propre. Elle est l’immigration désirée, le décentrement du sujet égocentré, l’espace-temps premier de tous les transferts, la matrice d’autres scènes, le praticable princeps de l’après coup. Elle est le paradigme de l’éthique, l’Origine du Monde humain. Pas en peinture.
En vérité, elle est l’origine du mettre-venir au monde, vécue du deux-dans.
Elle est l’engendrement, par régression progrédiante, d’une génération féconde.
« Wo es war, soll ich werden. »
La gestation fait la différence (la différance ?).
L’expérience génésique est celle du plus intime et du plus universel de notre espèce.
Un nouveau Dialogue de l’Histoire et de l’âme charnelle, dirait Péguy, le poète, le patriote, le dreyfusard, le socialiste de La Cité harmonieuse, l’admirateur critique de Fécondité de Zola.
Exit la Création métaphysique, la théo-technologie, le libéralisme dématérialisant, la libido unique du Père-Maître dominant.
S’avance la libido creandi, matérialisme charnel, philosophie politique du vivant-pensant.
Ils (de Sénèque à Attali, en passant par Mauss et Michéa) oublient tous la procréation comme paradigme du don et de la création. Don de vie et création d’enfants (« créatures » dans les langues du Sud). « Donner, recevoir, rendre ». Changement de logiciel, de méthode.
Exit la Miséricorde Divine. S’exprime la générosité utérine de concevoir l’autre en soi et de s’en séparer pour qu’il-elle naisse.
Exit le Pouvoir. S’annoncent les pouvoir faire.
Exit la Genèse. S’annonce, sans messianisme, la génésique laïque, humaine, œuvre de femme et d’homme. Œuvre géni(t)ale, œuvre d’être.
Ségolène Royal est un « ovni, objet votant non identifié » dit un journaliste.
La donna è mobile. Elle les désoriente, les déboussole. Car sans perdre le Nord, elle ne perd pas son Sud.
Ils trouvent la campagne passionnée, mais condamnent, en aveugle, la passion génitrice, qui subvertit, dérange et décentre la logique phallocentrique.
Je parle de gestation, de passion génitrice (je ne parle pas de maternité, ni de passion maternelle, qui font partie intégrante du Patriarcat et le renforcent).
Femme « du 3ème type », pour « le 3ème millénaire », elle se libère de la triple aporie métaphysique du maternel, du féminin et du féminisme.
Femme de l’affirmation, fille des Lumières.
A-t-elle lu Kant : « Les lumières se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état de minorité… La minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. » (« Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? ») ?
Femme laïque (c’est presque un pléonasme), elle reprend au théologique le politique ; aux Dieux et aux Clercs les Vertus qu’ils ont volées aux humains et aux femmes.
Foi, Espérance et Charité se transforment en lien social, avenir, solidarité.
Héritière de l’Utopie des Pères fondateurs, elle sait que les forces vives, pour ressourcer et refonder un socialisme mondialisé, pour enfanter une VIème République, sont encore les très pauvres, les femmes et les artistes. Comme chez Fourier, Flora Tristan et Hugo.
Héritière de près de quarante ans d’un Mouvement de Libération des Femmes, irréversible, elle nous rend au centuple ce qu’elle en a reçu.
Singulière, avec le plus grand nombre, elle veut « Faire France », Démocratie participative. Pas seule, pas toute, pas toute seule. Pas sans partenaires généreux, pas sans partisans courageux.
Naissance d’une Nation. La France Présidente. A terme, ce sera une fille pour nous représenter, femmes et hommes, ensemble.
Nouvelle-née, enfante femme, elle s’appellera encore et toujours France ; mais aussi Europe et Planète pour signifier son identité, une et multiple, feuilletée, nationale, européenne, universelle, entre autres.
France, fille de son Histoire, de ses symboles, mais aussi Autre France, France de l’Autre, des autres de la France, de la France avec les autres.
Naissance d’une Nation ?
Si la France est toujours la cinquième puissance économique mondiale, alors l’impact de sa Présidence sera, non seulement européen, mais planétaire.
Si Ségolène Royal est élue Présidente, la France mettra au monde un Nouveau Monde, où les filles, autant que les garçons, auront droit au monde.
Civilisation en mutation, guérison du plus vieux malaise dans notre espèce.
L’humanité paritaire (homo sapiens-sapiens et femina sapientissima), va enfin atteindre son stade génital, sa maturité psychique, sa personnalité démocratique.
Le XXIe siècle sera géni(t)al ou ne sera pas.
C’est le Pari.