LA PARITÉ, POUR UN QUATRIÈME MODÈLE RÉPUBLICAIN
Gravidanza. Féminologie II, des femmes-Antoinette Fouque, 2007 (Poche, 2021)
Texte écrit à la demande de Madame Nicole Ameline, ministre de la Parité, à l’occasion de la Journée internationale des femmes, le 8 mars 2005.
Après trente-sept ans d’engagement de femmes de toutes conditions et d’activités intenses du MLF, les droits conquis sont spectaculaires : lois d’égalité – abolition de la « puissance paternelle », égalité parentale, professionnelle, familiale, politique –, lois contre les violences sexuelles… Au-delà, deux avancées inédites ont marqué l’une et l’autre l’émergence des femmes dans l’histoire et l’ont révolutionnée : la maîtrise de la fécondité (je préfèrerais dire droit à la procréation) et la parité.
Mais, en levant l’oubli et la censure sur les femmes et sur la fonction indispensable pour l’espèce dont notre corps est doté – la fonction génésique –, en dévoilant la misogynie constitutive de l’ensemble des civilisations, les mouvements de libération des femmes ont entraîné, et c’est logique, une résistance, une protestation virile fondamentale. Cette nouvelle misogynie rassemble en une Sainte Alliance toutes les intolérances totalitaires et intégristes, toutes pensées de l’Un qui refusent altérité, alternance de la personnalité et de la structure démocratique ouverte, paritaire, partenaire. Les femmes sont les premières victimes tant des cultures traditionnelles et autoritaires qui les excluent, que des régimes anti-démocratiques, que d’un ultra libéralisme mondialisé, dématérialisé. L’espèce humaine parlante et pensante, que les femmes régénèrent à chaque naissance, est déjà le dernier marché à exploiter, tandis que, paradoxalement, un gynocide (une nouvelle forme d’extermination ?) s’organise : 40 millions de petites filles ne sont pas nées du fait des fœticides, alors que 100 à 150 millions de femmes manquent en permanence au compte de l’humanité. Jusque dans nos démocraties avancées, en Europe, comme en France, la pauvreté se féminise, les violences explosent. Partout sur la planète, on rabaisse, on exploite, on exclut, on viole, on tue, des femmes.
Que faire ? Le modèle traditionnel – tota mulier in utero (maternité esclave) – et le modèle féministe de l’indifférentialisme unisexe – tota mulier sine utero (sexualité esclave) – ont démontré leur inefficacité. Le modèle libéral qui conjugue le négatif de chacun d’eux – femmes divisées, moitié hommes, moitié femmes – doit être dépassé. La France doit inventer un quatrième modèle républicain pour stopper l’écartèlement entre archaïsme et modernité. Un modèle libérateur, qui considère la création de vivant comme la première des richesses humaines. Un modèle qui, en intégrant la structure éthique dont cette (pro) création est porteuse, se situe hors de toute spéculation technique et marchande et de toute pollution dévastatrice. Un modèle qui, par un contrat humain, garantisse la pérennité de notre lien vital au matriciel ; qui, par une nouvelle alliance de l’humanité avec les femmes, inscrive un humanisme supérieur.
Après tous les droits acquis ces dernières années, il est temps d’élaborer une loi-cadre globale qui délivre une véritable politique pour les femmes, du plus réel au plus symbolique, de la génésique à la Parité. Il est temps d’inscrire l’existence des deux sexes dans la Constitution.
La parité constitue un bond en dehors de la logique de l’Un, de l’unisexversalisme jacobin, d’un républicanisme neutraliste, obsolète. La parité, par son étymologie même – partenaire, paire, partage, parturiente –, nous introduit à une autre logique, une logique du Deux, du au moins deux, tiers inclus ; nous ouvre à une culture générative, généreuse, à ce que Kant, dans Qu’est-ce que les Lumières ?, appelle la majorité pour le genre humain… Une République vivante, vitale, démocratique, paritaire, laïque et universelle.
En ces temps de détresse, de terreur, de guerre généralisée, économique, religieuse, nationaliste, où la personnalité libérale, égoïste, égotiste ravage, pille, détruit la planète et l’espèce, la parité nous offre une conception éthique du don, où « donner, recevoir, rendre » nous invite à nous souvenir, penser, remercier ; nous fait passer à une économie où le De beneficiis de Sénèque ne serait pas traduit par « des bénéfices » mais, comme il convient, par Des bienfaits ; nous ouvre à la géni(t)alité de l’espèce, à une condition historique d’hommes et de femmes, capables de mémoire, de création et de gratitude.