FAIRE ADVENIR CE QUE NOUS SOMMES
Gravidanza. Féminologie II, des femmes-Antoinette Fouque, 2007 (Poche, 2021)
Entretien réalisé avec Nicole Boulanger pour « Les Rendez-vous » du Nouvel Observateur, le 21 janvier 1980, et intitulé « La semaine d’Antoinette Fouque ».
Antoinette Fouque, vous connaissez ? Décidément, ce nom ne vous dit rien. Jouons autrement, et appelons tout simplement notre héroïne par son prénom : Antoinette. Là, tout devient clair : Antoinette, la seule, l’unique, Antoinette qui insuffle de la pensée à la fraction dure du MLF : le mouvement Psychanalyse et Politique, né en 1968 et dont elle est à l’origine. Antoinette, mi-corse, mi-italienne : « Ma préoccupation, mon activité principale, c’est faire advenir ce que nous sommes et donner existence à ce que nous vivons : femmes.» A l’intérieur du Mouvement, on fait donc beaucoup de choses : une maison d’édition d’abord, Des femmes (1974), un Quotidien des femmes qui deviendra mensuel, des femmes en mouvements (1978), et hebdomadaire depuis peu. Antoinette a tourné cet été un film avec sa mère « à la genèse du langage, du corps, de la vie d’une femme ». Mais, pour le public, elle se cache, trop parfois. A travers nos « Rendez-vous », une reconnaissance, un salut aujourd’hui à l’éminence grise, à la prêtresse rouge des femmes en lutte.
Nicole Boulanger
Lundi 21 janvier
Cosi. – Tous les jours de la semaine, trois heures sur Cosi fan tutte, de Mozart (France-Musique, de 9 h à 12 h).
– Cosi fan tutte… toutes, ou pas toutes ; de Mozart à Lacan, ils continuent de poser la question, et toujours sur le même air.
Bella Voce. – Victoria de Los Angeles (soprano) aux lundis musicaux de l’Athénée.
– J’ai deux amours, la mère et la sœur aînée : Kathleen Ferrier, la jouissance, la fusion, l’enveloppement nourrissant, le placenta et le lait ensemble ; et Gundula Janowicz, l’invocation séductrice, la « guidance » de Béatrice, l’autre même.
PC. – De retour d’URSS, Georges Marchais est l’invité de « Cartes sur table » (Antenne 2, 20 h 30).
– L’anticommunisme m’est odieux ; mais, quand le PC décide de ressembler aussi lourdement à ses propres caricatures, un anti-PCF nous est littéralement soufflé. La vieille garde a pris le pouvoir. Elle se fiche de la base, comme de l’écrasement du peuple afghan.
Ecrivain. – Portrait d’Albert Camus (TF1, 22 h), précédé de L’Etranger, film de Luchino Visconti (20 h 30).
– Camus, c’est le cas de le dire, m’est toujours resté étranger. Plus qu’un homme du Sud, c’est un fils ; et je ne me suis jamais laissé toucher malgré la prescription à en passer par lui.
Mardi 22 janvier
Consommation. – « Forum du jeune consommateur : embrigadé ou autonome », se demandent Claude Olievenstein, Pierre Simon, Roger Garaudy, Marie-José Chombart de Lauwe (chapiteau du Forum des Halles).
– Ou le consommateur consommé.
Dissidence. – Débat sur les transfuges soviétiques aux « Dossiers de l’écran » (Antenne 2, 20 h 30).
– L’utilisation de la dissidence comme épouvantail de l’anticommunisme me dégoûte. Elle est vendue comme le dernier produit du supermarché de l’Occident. Mais là-bas, sûrement, ça bouge. Le Mouvement de Libération des Femmes vient de naître en URSS. Nous venons de publier dans le numéro 10 de notre hebdo Des femmes en mouvements la traduction de leur Premier journal libre, édité hors des circuits officiels.
Mercredi 23 janvier
En salle. – Le Seigneur des Anneaux, de Ralph Bakshi, l’auteur de Fritz the Cat.
– Les grands films, c’est comme les grands textes, c’est rare. Pourquoi se noyer dans la production hebdomadaire ? Quand projettera-t-on les Onze Fioretti de Saint François d’Assise de Rossellini ? Après Rossellini, il y aura encore Rossellini. Je dois l’aimer comme j’aime Corneille… C’est en rapport avec l’honneur, bien sûr. Mais cette semaine, si j’avais le temps, j’irais voir au Racine Le Chemin perdu de Patricia Moraz, dont j’avais trouvé Les Indiens sont encore loin plein d’intuitions, presque de bonheurs.
Neurochirurgie. – Dans la série des cours publics de la Sorbonne sur l’homme et son cerveau, une question du professeur Jean Talairach : « La neurochirurgie peut-elle réaliser une psychochirurgie rationnelle ? » (Amphi Descartes, 18 h).
– Le scandale des scandales que la question puisse être posée ainsi. Pour parler de « la folie », sur toutes le chaînes et dans tous les amphis, on ne s’adresse plus, désormais, qu’à des biologistes, des neurologues, des psychiatres et des sociologues. Adieu la révolution psychanalytique ! Le refoulement de l’inconscient est à l’ordre du jour. L’obscurantisme se porte bien.
Jeudi 24 janvier
Création. – Rendre à César, de Marguerite Yourcenar. Mise en scène de Michel Touraille (Montpellier).
– Elle s’est superbement identifiée à ses grands hommes, et tient des propos classiquement indigents sur les luttes des femmes. Aucun risque pour les Immortels ; un vrai frère pour eux. Ils pourront rendre à Marguerite Yourcenar ce qui n’est pas qu’à César.
Halles. – Pour contester le projet choisi récemment par la mairie de Paris,un jury international, composé d’artistes, d’architectes, de sociologues… couronne aujourd’hui le lauréat de la consultation internationale pour l’aménagement des Halles (exposition des projets dès le lendemain, 13, bd de Sébastopol).
– Prestige oblige, l’édifice final sera un monument. Adieu architecture, adieu création, le terrain est miné ! Vous souvenez-vous de ce qui est arrivé au projet Bofill ?
Vendredi 25 janvier
Lettres. – Parution de la correspondance de Rilke avec Lou Andreas Salomé (Gallimard).
– J’ai lu des fragments de cette correspondance, il y a quelques années. Il me semble que Joë Bousquet a écrit : « Il viendra, un jour, un être au regard si vrai que le réel le suivra ». Cette correspondance est le lieu de leur rencontre, femme et poète, et de leur marche ensemble dans la même forêt, l’un suivant l’autre dans la réalité, jusqu’à son réel.
Music. – King Arthur de Purcell. Sous la direction de Gardiner (Auditorium 104).
– Je ne connais pas King Arthur de Purcell, mais j’aime Purcell, avec Gluck et le Mozart de La Flûte.
Livres. – Histoire de Madame Henriette d’Angleterre, la Princesse de Montpensier, la Comtesse de Tende de Madame de Lafayette aux éditions Des femmes, en poche.
– Trois introuvables de Madame de Lafayette, présentés par Claudine Hermann, dans notre belle collection classique, la seule qui ait les honneurs de la presse.
Apostrophes. – « Le Sexe et ses interdits », avec Baudrillard, Catherine Rihoit… (Antenne 2, 21 h 30).
– Avec la Barre à l’économie et le Pivot à la culture, ça tourne en rond. La jouissance est congédiée. Ce soir, le sexe des interdits.
Ciné-club. – A l’est d’Eden, premier film du cycle Elia Kazan (Antenne 2, 22 h 30).
– Ce programme est pour moi comme une vente aux enchères où l’on voit défiler les morceaux d’une vie que l’on a quittée. A l’époque où j’allais trois ou quatre fois par jour au cinéma, j’ai dû voir dix fois A l’est d’Eden. Mais depuis dix ans, j’ai quitté le vieux monde et sa culture. Un besoin d’être contemporaine à moi-même, de faire, plutôt de faire avec, de faire avec l’autre.
Samedi 26 janvier
Première. – Tête d’or, de Claudel. Mise en scène de Daniel Mesguich (théâtre Gérard-Philipe, Saint-Denis).
– Ouf ! Avec Mesguich, le plus doué, le plus intelligent des jeunes metteurs en scène, je respire. Tout le théâtre en France est pris dans l’amidon-dentelle et vaudeville. Un seul rompt avec le théâtre de vieillerie. Le travail de Mesguich, absolument moderne, rend le théâtre au théâtre, sait écouter les textes, et les faire résonner dans toutes les langues. Courons vite à la périphérie.
Exil. – Exposition de photos de la maison de Freud à Vienne, en 1938, quelques jours avant son départ en exil (galerie Erval, 16, rue de Seine).
– On imagine le dernier regard de Freud sur son monde, quand il n’y a plus de vie possible pour lui sur son sol ni dans sa langue, et qu’il doit cependant aller mourir ailleurs, en exil. Comme la réminiscence anticipée de son agonie. Nous, femmes, qui avons le plus souvent perdu la terre du premier amour, en savons long sur l’exil.
Dimanche 27 janvier
Tiercé. – Prix d’Amérique à Vincennes (16h).
– Tout ce que ne veut pas le peuple et qu’on lui refile par force.