LES FEMMES AU CŒUR DU DÉVELOPPEMENT HUMAIN
Génésique. Féminologie III, des femmes-Antoinette Fouque, 2012 (Poche, 2021)
Intervention, en tant que députée, en Assemblée plénière du Parlement européen à Strasbourg, le 28 septembre 1994, dès son retour de la Conférence de l’ONU sur la population et le développement (Le Caire, Egypte).
Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit à propos de la Conférence internationale du Caire sur le développement et la population. Elle a été une réussite, puisqu’elle a placé, logiquement, les femmes au cœur de la problématique du développement.
Mais, les pouvoirs, tant religieux que politiques, dont l’enjeu majeur, depuis l’aube des temps, est la procréation, n’ont pas relâché leur étreinte.
Le philosophe Emmanuel Levinas rappelait récemment que l’Europe, c’est la Bible et la Grèce.
Dans la Bible, le livre origine des trois monothéismes, Dieu n’en finit pas de jouer avec la fécondité des matriarches : il ouvre et ferme leur utérus au gré de son désir.
Quant aux fondateurs de la démocratie, Athéna et Oreste, ils sont l’une, amatride, et l’autre, matricide.
Chacun a donné son la dans le concert mondial.
Là, au Vatican, en Iran, en Amérique Latine, c’est un devoir de procréer, un crime d’interrompre une grossesse. Là-bas, en Chine, en Inde, c’est l’inverse ; c’est un devoir d’avorter, c’est un crime de procréer.
Ici, en Allemagne réunifiée, à l’Ouest, l’avortement est pénalisé, à l’Est, une femme doit fournir un certificat de stérilisation pour obtenir un emploi.
Nos libéraux, enfin, continuent à diviser l’espèce humaine en deux, et sous prétexte d’équilibre démographique, en réalité par protectionnisme racial et nationaliste, et par peur millénariste d’invasions barbares, proposent, ici, une politique nataliste, là-bas, une politique malthusienne anti-« boat-people », n’hésitant pas à brandir un féminisme alibi pour oublier notre devoir de solidarité et d’aide économique au développement durable.
C’est cette aide, avant toute chose, avec l’effacement de la dette, que notre Union doit renforcer et rendre effective pour honorer ses engagements.
Je voudrais éclairer un point qui est resté obscur. A aucun moment de cette Conférence, [ni de l’élaboration de notre proposition de résolution commune,] il n’a été tenu compte de ce que, si, désormais les femmes sont bien en première ligne, non seulement objets mais sujets, non seulement bénéficiaires, mais agents du développement, elles sont, depuis toujours déjà, productrices de richesses, par le travail de la gestation qui leur échoit dans l’espèce.
La face lumineuse de la procréation n’a pas été gratifiée. Les femmes sont le terroir de l’espèce, corps d’accueil, mémoire et généalogie de la ressource humaine, du capital pensant, qu’elles renouvellent et restaurent, grossesses après grossesses, générations après générations, sens, à la fois direction et signification, de l’Histoire dans le futur.
Cette expérience, dans la gestation, de vivre avec l’autre, le proche-étranger, n’est-elle pas le paradigme de ce qu’on nous dit être à la fois l’éthique et la démocratie ?
En Afrique, 80% des O.N.G. sont animées par des femmes, avec des médecins. En Inde, les femmes font renaître et vivre les villages. En Europe, en ces temps de guerre (Golfe, Bosnie, Algérie), en France, dans nos banlieues difficiles, les femmes luttent contre la drogue, protègent le lien social, restaurent la vie collective.
Expertes en développement et en éthique depuis toujours, les femmes sont aujourd’hui le front pionnier de la démocratie. Demain, peut-être, si on ne les empêche pas, elles sauront promouvoir une éthique démocratique qui nous délivre des intégrismes politiques et religieux, et nous ouvre à une histoire hétérosexuée.