QUI VA L’EMPORTER, LES BIOLOGISTES OU LES FEMMES ?
Génésique. Féminologie III, des femmes-Antoinette Fouque, 2012 (Poche, 2021)
Article paru dans Le Nouvel Observateur nº 1045 du 23 novembre 1984 (hors-série « Avoir 20 ans »). Propos recueillis par Josette Alia.
L’émergence des femmes a été, je crois, continue depuis vingt ans, mais, s’il faut citer un tournant important, je dirais que Mai 68 a rendu évident un phénomène laïc. Oui, Mai 68 a été le déclic, le déclenchement d’un processus allant de la contraception à l’interruption volontaire de grossesse. On reconnaissait enfin aux femmes la propriété de leur corps, plus exactement de leur utérus. Il avait là un acquis important.
Vingt ans après, une autre bataille décisive s’engage pour les femmes. Il s’agit de savoir, ou plutôt de reconnaître, qui crée le vivant. Cela semble facile : il faut être deux, un homme et une femme, pour créer un troisième. Or les progrès de la biologie ont brouillé cette équation simple. En proclamant « notre corps nous appartient », les femmes ont déclenché une réaction féroce. La question désormais primordiale, c’est de savoir qui va gagner — les biologistes ou les femmes — la guerre de la production du vivant. Jusqu’à présent, les femmes l’emportent : le sperme peut se congeler, l’ovulation peut se faire in vitro mais le ventre féminin reste indispensable. On n’a pas encore inventé la matrice artificielle !
L’utérus est donc encore la plus grande des richesses dans notre monde qui cherche à produire du vivant comme le Moyen Age cherchait à produire l’or.
Il y a là un problème d’éthique, de société, de politique, que ni la droite ni même la gauche n’ont vraiment abordé. Obscurément, les scientistes (qui sont le contraire des modernistes) veulent sauver le règne de l’homme, Père ou Fils tout-puissant, lorsqu’ils cherchent comment créer seuls un être vivant.
Hélas pour eux, ce sont les femmes pour l’instant qui reproduisent l’espèce (« Nos fils ne viennent pas », disait Gide). Elles sont porteuses sans le savoir d’une formidable révolution dans les rapports humains puisqu’il faut très peu de sperme mais beaucoup de femmes pour faire des enfants. Ce problème n’est pas pour demain, il existe aujourd’hui ; les comités d’éthique et les législateurs vont devoir définir très vite, par exemple, le statut des mères porteuses. C’est cela la grande question du XXIe siècle. Car interdire les mères porteuses ou défendre à une femme d’utiliser le sperme congelé de son mari, c’est tenter à nouveau de déposséder les femmes de leur corps par le biais de la biologie.