LE MLF : UN MOUVEMENT HOMOSEXUE, ET PAS HOMOSEXUEL
Extrait d’un entretien avec Muriel Fauriat publié dans « Temporel » n°1 du 15 septembre 1999.
M.F. : Vous avez fait un film sur l’homosexualité féminine, Une jeune fille, en 1973, dont on retrouve quelques images dans l’hebdo Des femmes en mouvements, n°42-43, du 22 août 1980. Pouvez-vous nous en parler?
F. : Ça me fait plaisir que vous reveniez sur ce film. J’ai rarement l’occasion d’en parler, tout simplement parce que, pour des raisons politiques, il n’a été ni monté, ni montré ; pour des raisons politiques et, peut-être aussi, parce que je continue à voir l’accomplissement du côté de la recherche et non de l’achèvement. Dans ce film, on commence par arpenter les impasses de la problématique de Freud quant à l’hystérie et à l’homosexualité féminine. Dans « Dora »[1], Freud ne voit pas l’homosexualité féminine ; il y revient plus tard, après avoir travaillé sur l’homosexualité masculine. Et dans « Psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine »[2], il ne voit pas la relation à la mère. Elle est d’ailleurs forclose de tout son travail théorique, bien que très prégnante dans ses métaphores, dans le travail sur son propre inconscient, et bien sûr dans sa vie.
La jeune fille du film découvre son homosexualité à travers le désir pour la maîtresse de son père, une actrice (Delphine Seyrig, dont les initiales sont D.S., comme déesse de la féminité, « Différence Sexuelle » travestie, différence de genres), et ne voit sa mère que telle que son père la voit, c’est à dire féminine, travestie aussi (elle porte une perruque). Elle arpente les impasses d’une identité lesbienne, enfermée dans les signifiants paternels, dans la féminité du père, non-analysée, qui fait trait entre la mère et la fille. Cette expérience se termine par une tentative de suicide (la jeune fille se fait renverser par la DS de son père), suivie d’une dépression psychotique.
Ensuite, j’expose ma position qui s’appuie aussi sur un texte de Freud, « Sur la sexualité féminine »[3], dans lequel, pour parler de la relation mère-fille, archaïque et extrêmement refoulée, il évoque la civilisation minoé-mycénienne, une civilisation antérieure à la civilisation athénienne, c’est à dire œdipienne, mais je lui donne des prolongements que ce texte n’a pas : le rapport que j’appelle naïf, natif, homosexué à la mère, qui est à la racine de l’homosexualité et concerne la génitalité femelle, la gestation de la fille enfante femme, qui fait de la génitrice une pro-créatrice, et de la gestation, une pro-création.
Le film résout l’aporie de l’homosexualité féminine par politique et psychanalyse. La jeune fille va en analyse avec un(e) analyste capable de comprendre son refus d’une hétérosexualité bâtarde, qui n’a d’hétérosexuelle que le nom, une forme castrée de l’homosexualité masculine, ainsi que le mettent en évidence, plus que jamais, les perversions et les libertinages actuels. Et du côté politique, elle va au Mouvement des femmes avec sa mère qu’elle fait naître comme femme plutôt que comme mère et épouse (on voit d’ailleurs la mère enlever sa perruque, se délier…). Psychanalytiquement, elle se tourne structurellement vers la mère symbolique, et politiquement, elle se tourne ver les sœurs pour que mère symbolisée et sœurs solidaires mettent au monde des femmes (il y a d’ailleurs une séquence avec une femme enceinte). La résolution, si on peut dire, de cette homosexualité, c’est la gestation de son propre ancrage dans le matriciel, et la naissance d’une femme.
Comme vous l’avez sûrement compris, le personnage central de mon film, c’est la mère, et le projet du film, c’est la sortie de l’hystérie. C’est comment réussir là où l’hystérique échoue, et même là où la jeune homosexuelle échoue dans le lesbianisme par passion pour l’hystérique. Le film se joue en plein questionnement de l’homosexuation à la mère, de l’homosexualité primaire, native, par rapport à l’homosexualité secondaire, perverse, lesbienne. Très vite, dans le Mouvement des femmes, j’ai été amenée à faire cette distinction entre deux formes d’homosexualités, et à mettre en évidence l’importance de l’homosexualité primaire dans la maturation psycho-sexuelle d’une femme. Notre pays, notre terre de naissance, c’est le corps maternel, c’est un corps de femme. Ce qui veut dire, pour la fille, que sa première relation est homosexuelle.
[1] S. Freud, Dora, in Cinq psychanalyses, PUF,
[2] S. Freud, Sur la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine, in Névrose, psychose et perversion, PUF, 1973.
[3] S.Freud, Sur la sexualité féminine, in La vie sexuelle, PUF, 1969.