NOTRE TERRE DE NAISSANCE EST UN CORPS DE FEMME

mai 1982 | - |

Gravidanza. Féminologie II, des femmes-Antoinette Fouque, 2007 (Poche, 2021)

Entretien réalisé par la mensuelle Des femmes en mouvements – Midi-Pyrénées, 1er mai 1982.

Des femmes en mouvements — Une des questions qu’il me tenait à cœur de te poser, c’est celle du lien, du rapport des homosexuelles avec le M.L.F., et du M.L.F. avec les homosexuelles. Ce qui court, parmi les idées fausses ou réductrices sur le M.L.F., c’est que parce qu’il est non-mixte, les femmes qui y militent sont toutes homosexuelles.

A.F. — Il faudrait avoir le courage de dire, ce qui n’est un secret pour personne, cependant, que le M.L.F. institue un lieu sans hommes, pour lutter contre l’exclusion et la discrimination absolue dont les femmes sont victimes dans ce monde d’hommes sans femmes. C’est une manière de poser activement l’exclusion où nous mettent les hommes, une manière de ne pas être des exclues passives, d’être des personnes, identifiées par leur sexe biologique qui devient ainsi un sexe social, culturel et symbolique ; une manière de se définir.
C’est un fait qu’il y a des femmes hétérosexuelles de tous âges qui viennent au Mouvement, mais que l’initiative de fonder le M.L.F. a été prise par des femmes qui, ayant été ou étant encore hétérosexuelles, choisissaient à ce moment-là d’accorder une priorité dans leur vie à l’homosexualité. Pendant quelques temps, certaines taisant leur homosexualité, les femmes hétérosexuelles étaient mal à l’aise. J’ai fait la première réunion sur l’homosexualité, chez moi, en automne 1970, pour que ce soit dit, que ça ne reste pas latent, interdit ; et ce soir-là, d’ailleurs, sont venues toutes les femmes qui étaient internées, en quelque sorte, dans un mouvement lesbien qui s’appelait « Arcadie ». Ce fut la première réunion politique d’homosexuelles en France. Les hommes n’avaient pas encore commencé, dans les mouvements gauchistes, à dire leur homosexualité. Je me rappelle que cette réunion a précédé un dîner avec Guy Hocquenghem, où je lui ai dit « mais pourquoi ne dis-tu pas dans ton organisation – qui était V.L.R. – que tu es homosexuel ? Nous, nous le disons. » Alors, ils ont créé le F.H.A.R. ; mais là, les femmes qui étaient à l’initiative de ce front, avec eux, se sont trouvées réinternées parce que minoritaires, et sous le coup de toutes les oppressions que les hommes font subir aux femmes dans la société dite hétérosexuelle : en fait c’était la même homosexualité, c’était la même société.

 

D.F.M. — D’ailleurs, dans les organisations homosexuelles mixtes ou non, il n’est pas rare que, pour les femmes qui y sont, la réponse à la question « que sommes-nous ? » soit d’abord « des homosexuelles, ou des lesbiennes », et que le terme « femme » – quand il vient – suive loin derrière.

A.F. — Il y a une phobie du terme « femme ». Des trois que nous sommes, de fondation du M.L.F., Monique Wittig a préféré le terme « lesbien » au terme « femme », faute de pouvoir effectivement trouver la relation qu’il peut y avoir entre femme et homosexuelle. Et pourtant, c’est une relation de fait « naturelle » si l’on peut dire : toute femme est homosexuelle, et il n’est de femme qu’homosexuelle, et donc toute homosexuelle est une femme qui le sait ou qui s’ignore, mais de fait, c’est une femme, il n’y a aucun doute, sauf effectivement à être transsexuelle…
Revenons à l’homosexuelle qui se définit comme une femme qui aime d’autres femmes. En disant les choses simplement, sans faire d’analyse pour distinguer homosexualité primaire, homosexualité secondaire, et ce qui se cache d’une homosexualité primaire chez une lesbienne, il est évident que, pour toutes les femmes du M.L.F. en tout cas, il est acquis que les lesbiennes, les homosexuelles sont des femmes à part entière, quelles que soient leurs identifications masculines. Nous, nous sommes un mouvement homosexué, avec des homo et des hétérosexuelles ; par nous, elles ne sont pas rejetées. Au contraire, nous pensons qu’elles sont très souvent, ou que nous sommes très souvent, ce qu’il peut y avoir de plus essentiellement femme dans la quête et la maturation d’une identité de femme. Ça peut paraître paradoxal, mais c’est ainsi.

 

D.F.M. Tu parles d’homosexualité primaire, d’homosexualité secondaire. Et surtout tu as inventé ce concept d’ homosexualité native qui nous importe tellement. Il y a là quelque chose que je trouve bouleversant, qui n’avait jamais été dit ainsi. Est-ce qu’en toute femme vit – ou sommeille – une homosexuelle ?

A.F. — Qu’est-ce qu’une femme homosexuelle, au fond ? C’est une femme qui a pour objet d’amour, ou de désir, une autre femme. Si l’on prend cette définition minimale, on s’aperçoit que toute femme a eu dans sa vie au moins une autre femme comme objet d’amour. C’est la mère, ou plutôt la première femme. Le premier objet d’amour pour une femme est une femme, c’est un fait. Et c’est non seulement le premier objet d’amour semblable à soi-même, mais non identique. La petite fille dans le corps de la mère doit savoir déjà quelque chose d’une homosexualité prénatale. Elle naît, avec son petit stock d’ovules et un appareil génital parfaitement constitué, fille, née d’une femme.
Par naissance, le premier corps d’amour auquel la petite fille a affaire est un corps de femme. On dit, classiquement, qu’ensuite, la fille doit renoncer au premier objet d’amour et se donner un deuxième objet d’amour plus adéquat, qui serait le père. La plupart des femmes suivent ce trajet. Freud dit qu’en fait il s’agit d’une transposition du même amour sur un objet différent ; la petite fille a pour le père le même amour qu’elle avait pour le premier objet, c’est-à-dire la mère, donc un amour incestueux. Il est d’ailleurs fréquent, par la suite, de voir des femmes qui ont un amant-mère, un mari-mère, quelqu’un qui assume absolument la fonction maternelle.
Pour la plupart des femmes, on pourrait dire que ce premier objet d’amour, la mère, est radicalement refoulé et, même, éradiqué ; il est presque interdit d’en parler, d’en penser. Il est classique de dire que, dans la suite de sa vie, la fille interprète négativement ce rapport à la mère, qu’elle a donc un mauvais rapport à elle. Les filles sont en rivalité avec leur mère pour lui disputer le père comme objet d’amour, c’est le schéma œdipien inversé. À la mère qui a donné l’amour ne reviendrait que de la haine, de la part de la fille hétéro, et même lesbienne, quand celle-ci ne reconnaît plus son amour fondamental pour la mère.

 

D.F.M. Est-ce là la différence que tu fais entre homosexuelle et lesbienne ?

A.F. — La différence que je fais, qui n’est pas forcément celle que je ferai toujours, se situerait entre les homosexuelles (les femmes qui sont en rapport avec cette homosexualité « native ») et les lesbiennes (les femmes qui sont en rapport avec le modèle idéologique lesbien).
« Lesbos », c’est un mode de vivre l’homosexualité pour les femmes, qui vient d’une Grèce antique, très pédérastique et qui reproduit un vieux rêve de symétrie qui ne recouvre pas l’homosexualité spécifique des femmes. Le lesbianisme, c’est l’affirmation d’une homosexualité féminine symétrique de l’homosexualité masculine… Cette homosexualité n’est plus « native », mais secondarisée. Les lesbiennes s’identifient à des modèles masculins, se prennent pour des hommes, en tout cas quant aux comportements, aux conduites, aux vêtements : travestissement qu’on pourrait appeler un contre-travestissement. L’homme homosexuel se féminise et la femme homosexuelle se masculinise ; elle s’identifie au père pour pouvoir avoir accès à son objet d’amour ; que cet objet d’amour qu’est une femme pour une homosexuelle renvoie plus ou moins explicitement à la mère, est souvent devenu très implicite, très latent, très refoulé et même dénié.
Donc, c’est une violence que de dire à une lesbienne que l’homosexualité est « native », primaire, parce que son homosexualité secondaire, lesbienne, sûrement l’en défend. Elle peut le vivre comme absolument agressif et la privant de la personnalité d’emprunt qu’elle s’est donnée par mimétisme avec l’homme, par identification au père, au frère, qui l’autorise à aimer la mère et à être aimée d’elle, et qui lui permet de faire retour activement sur ce corps. Même les lesbiennes qui ont une résistance à m’entendre parler d' »homosexualité native », ne dénieraient pas que dans une relation avec une femme, le plus souvent on voit se reproduire, des deux côtés, la relation mère-enfant et le plus souvent mère-fils.
Beaucoup de femmes homosexuelles se disent a posteriori masculines ou viriles parce qu’elles ont des qualités d’activité qu’on qualifie comme telles – c’est un vieil héritage freudien. Mais les qualités d’activité sont des qualités de femme ; qu’elles soient pour cela qualifiées de viriles est une aberration. Quels sont les hommes qui seraient capables de cette au moins triple activité que déploient la plupart des femmes une bonne partie de leur vie : faire des enfants, les élever et tenir une maison, et travailler dans les champs, ou les usines, ou les bureaux ou à des postes de responsabilité ? Les trois fois travailleuses[1] comme je nous ai désignées pour faire reconnaître cette réalité. Si toutes les femmes qui sont actives sont viriles, alors l’intégralité de l’humanité peut être qualifiée de virile.
Les femmes homosexuelles doivent apprendre qu’elles sont réellement des femmes, même si les modèles masculins leur conviennent mieux, leur paraissent plus efficients, ce qui se comprend puisque, après tout, il n’y a que le masculin qui règne, le masculin avec un féminin qui ne constitue qu’une différence de genre à l’intérieur de la langue et qui ne rend pas compte de la différence sexuelle réelle, alors que dans l’homosexualité des femmes, l' »homosexualité native », qui peut se poursuivre par une homosexualité secondaire, je pense qu’il y a vraiment le sol de la différence des sexes ; c’est le fondement de ce qu’est une femme, de ce que peut être une femme.

 

D.F.M. Dans le M.L.F., il y a aussi beaucoup de femmes qui se définissent comme « hétérosexuelles ». Donc, des homosexuelles, des hétérosexuelles, c’est-à-dire des femmes qui, au-delà des définitions classiques, se retrouvent pour penser ensemble à ce que c’est qu’être femme. Femme d’abord. Est-ce bien de cela qu’il s’agit quand tu parles, pour le M.L.F., de « mouvement politique homosexué » ?

A.F. — Un mouvement homosexué, justement, et pas homosexuel, était nécessaire pour pouvoir élaborer cette « homosexualité native », aux niveaux imaginaire et symbolique, en un lieu où il n’y a que des femmes, un lieu où se forme un idéal du moi pour les femmes qui, la plupart du temps, n’en ont pas, puisque la mère ne fait pas idéal du moi, en tant que femme, un lieu pour élaborer une culture. Les hommes sont ou ne sont pas réellement homosexuels mais toute la culture occidentale fonctionne sur un idéal du moi homosexuel qui fait que les hommes entre eux se reconnaissent, s’identifient, et se transmettent des valeurs d’une identité spécifique.
Et là, justement il y a une distinction, une différence faite mais pas de coupure, pas d’exclusion, pas de division, pas de séparation, une différence mais avec un dialogue possible entre qui tient à se définir d’abord comme lesbienne, et qui tient à se définir d’abord comme femme, homosexuelle et/ou hétérosexuelle ; c’est ce dialogue qui doit pouvoir se faire dans un travail de compréhension.
Un mouvement homosexué pour toutes les femmes : parce qu’il n’y a que dans cet homosexuation-là, fondamentale, sur ce sol, que nous pourrons bien augurer de l’élaboration de la différence des sexes réelle. Et même, j’ai dit souvent que le paradoxe était que cette homosexualité – puisque l’objet génital en fait n’est que l’objet primaire retrouvé – est non seulement le fondement de la maturité psycho-sexuelle pour toute femme, d’un devenir femme, mais est le premier maillon d’une hétérosexualité à venir puisqu’il n’y aura pas d’hétérosexualité au monde tant qu’il n’y aura pas de femmes comme sujets sexués. Donc, effectivement, cette homosexualité à retrouver pour toutes, c’est l’accès à une société, à une histoire réellement hétérosexuée, c’est-à-dire où deux sexes existent, s’expriment et peuvent se rencontrer.
Quand je dis que l’homosexualité des femmes, c’est la clef de voûte du M.L.F., même si le M.L.F. n’est pas un mouvement homosexuel, c’est que, justement, si l’on définit l’homosexualité comme je la définis, toute femme est  évidemment homosexuelle, de manière latente ou explicite ; selon qu’elle est hétérosexuelle ou lesbienne, le rapport avec le premier objet d’amour est plus ou moins refoulé ; et ce qu’une lesbienne apprend à une hétérosexuelle, dans une relation, c’est à retrouver le premier objet, le premier corps d’amour. On sait bien que dans une relation amoureuse ou érotique avec une femme, tout ce qui constitue les modèles lesbiens, secondaires et apparents, tombe et s’efface devant une relation de corps à corps entre deux femmes, souvent très régressive, mais au sens positif de la régression. La régression fait partie de la vie. Avoir une relation avec une homosexuelle, pour une hétérosexuelle, c’est retrouver ce qui a été presque arraché à la racine, ou en tout cas coupé ras, c’est retrouver ses propres fondements, ses propres pulsions, le corps élémentaire, le corps premier, l’archi-corps ; on pourrait même dire le corps intra-utérin, le corps d’avant la respiration, le corps d’avant l’air, le corps de l’eau, le corps humoral, le corps du dedans. C’est une chose que toute femme qui a eu une expérience avec une femme sait et connaît tout à fait.
Donc les lesbiennes ou les homosexuelles sont absolument le cœur du cœur du Mouvement et toute femme qui vient au Mouvement y vient, quoi qu’elle en dise, quoi qu’elle en sache ou quoi qu’elle en redoute, pour retrouver sur le mode réel, sur le mode imaginaire ou sur le mode symbolique, quelque chose de ce premier corps à corps avec la mère, d’une fille avec la mère, ce premier amour. D’où l’importance de cette hétérosexualité interne, entre femmes hétérosexuelles et femmes homosexuelles.
Voilà pourquoi, je pense, cette publication à part, mais pas du tout internée, constituant le cœur vital du Mouvement et de la Mensuelle[2]. Il n’est de femme, à mon avis, qu’homosexuelle : là où l’homosexualité est absolument perdue au niveau réel, imaginaire ou symbolique, il ne peut y avoir de femme ; il ne peut y avoir d’accès à une maturité psycho-sexuelle complète. Il y a comme une amputation du premier temps de la vie. Je dirais presque qu’une hétérosexuelle qui n’a pas retrouvé, sur un plan ou sur un autre, son homosexualité, est une sorte d’infirme de la sexualité.
Il n’est de femme qu’homosexuelle ; la plupart des femmes hétérosexuelles qui viennent au Mouvement, qu’elles aient ou non une relation amoureuse avec une femme, acquièrent aussitôt la dimension homosexuelle de ce Mouvement, et elle est toujours vécue comme un enrichissement ; relation politique, culturelle, symbolique qui fait que chaque femme apprend qu’être avec des femmes, ce n’est pas mortel mais vital ; c’est se donner le sol sur quoi peut se construire une identité qui tient compte de la différence sexuelle, « une identité différenciée ». C’en est la condition sine qua non. Il n’y a pas de femme sans retrouvaille et élaboration de son « homosexualité native ».

 

D.F.M. Peut-on dire qu’au M.L.F., une culture spécifique des femmes s’élabore, en relation avec cette « homosexualité native » que, à un niveau ou à un autre, réel, imaginaire, symbolique, il s’agit là de retrouver ?

A.F. — Il y a toute une culture qui s’élabore à partir du moment où les femmes sont entre elles et cette culture se fonde sur l' »homosexualité native ». C’est une autre culture que la culture masculine, pédérastique, dite à tort hétérosexuelle.
Il n’y a pas d’hétérosexualité dans la culture de la norme, et même moins que chez des femmes entre elles. C’est une culture homo-pédérastique. Freud dit qu’il n’y a qu’un sexe symbolisable et qu’une libido, phallique. Ce que Lacan reprend dans sa fameuse formule : « Il n’est de jouissance que du phallus ». Et cela se vérifie partout, dans cette culture, dans les mœurs. Par exemple, les prêtres dans un séminaire n’ont pas besoin de religieuses, les religieuses dans un séminaire ont besoin d’un prêtre. Mais on sait qu’il y a au Portugal, aux États-Unis, des communautés de femmes où la convivialité, la célébration en quelque sorte du culte catholique va le plus loin possible à se passer de prêtre, d’une présence masculine – évidemment, c’est toujours sous l’œil de Dieu ! Là où la puissance patriarcale est la plus forte, c’est-à-dire dans l’Église, il y a quand même des religieuses, des féministes qui réfléchissent sur cette question.
L’homosexualité féminine n’est tolérée par les hommes que soumise à leur regard, à leur curiosité, à leur perversité, en marge de leur société, exclue-internée au titre de lesbianisme. Quand elle leur échappe, ils la craignent ; elle devient dangereuse si, effectivement, elle tend à s’élaborer comme culture, avec création de valeurs spécifiques et positives pour les femmes.
Cette homosexualité, politique, est absolument décriée, interdite, parce qu’elle est révolutionnaire, parce qu’elle constitue plus qu’une contre-culture, une culture de la différence sexuelle, une culture d’une identité spécifique. Et ça, toutes les femmes homosexuelles doivent le comprendre : ce n’est pas être homosexuelle qui est subversif et révolutionnaire, c’est, en tant qu’homosexuelle, de participer à un mouvement homosexué qui fait passer cette homosexualité dans une culture non pas symétrique de la pédérastie, au titre du lesbianisme, mais une culture spécifique de femmes. C’est en se constituant comme femme dans un mouvement de femmes que leur homosexualité n’est pas seulement vécue, mais parlée, fantasmée et symbolisée, et devient absolument subversive.
Donc, c’est non seulement le lieu d’une transformation absolument globale de la société, mais c’est aussi le lieu d’une élaboration d’un corps complet pour les femmes, d’une culture sans forclusion du corps (et en particulier du premier corps d’amour), donc absolument non perverse.
Si l’homosexualité féminine est infiniment moins admise que l’homosexualité masculine, il est sûr que c’est parce qu’elle touche à l’interdit de l’inceste. L’homme, dans la relation hétérosexuelle, revient sur ce premier corps d’amour, alors que la femme l’a définitivement perdu et il semblerait que si elle ne le perdait pas, elle s’y perdrait, que si elle devait y revenir, elle s’y noierait, elle y serait réaspirée par du même, ce qui est absolument faux. La femme, dans une relation homosexuelle, trouve son sexe et son corps, et sûrement trouve dans un corps, ou dans le corps symbolique que constitue le M.L.F., toutes les traces du corps qui seraient perdues si elle était condamnée à une hétérosexualité amputée de cette première tranche de vie qui va jusqu’au changement d’objet.
Et les femmes qui sont homosexuelles ailleurs, ou dans les partis, ou isolées, souffrent énormément de ne pas avoir de lieu où se rencontrer et où partager entre elles des richesses dont elles savent bien qu’elles sont porteuses ; l’aspect négatif de l’homosexualité, on le connaît, mais c’est quand elle est vécue à l’intérieur d’une culture qui ne fait que la concéder, la marginaliser, la réprimer ; dans son lieu elle est au contraire porteuse de valeurs fondamentalement positives.
Mais je continue d’être ahurie que des femmes vivent toute une vie d’homosexualité sans se poser de question. Qu’on soit hétérosexuelle sans se poser de question, cela se comprend, puisque c’est la norme, mais quand on a une vie différente, on devrait se demander pourquoi, comment. On ne perd jamais rien à comprendre. Si elles viennent en parler dans un Mouvement aussi massif que le M.L.F., avec des femmes, elles sortiront du ghetto et ne se considéreront plus comme des anormales, de manière consciente ou inconsciente. Elles ne vont pas y perdre une différence, elles vont la préciser et l’authentifier. Il n’est pas vrai que toute femme va retrouver en elle cette pulsion qui va la rendre capable d’activité avec le corps d’une autre femme ; c’est ce qui fait leur différence, à elles, différence positive, de pouvoir aimer activement. Ce qu’elles vont trouver au Mouvement, c’est une possibilité de vivre ouvertement et positivement, et pas dans une symétrie par rapport au masculin, une homosexualité qui a son droit de cité et qui a sa fonction et sa nécessité culturelle et structurante de la différence sexuelle, et qui est donc le moteur de la « révolution du symbolique », c’est-à-dire de l’avènement d’une histoire hétérosexuée.
Pour les femmes homosexuelles qui, dans leur lieu hétéro-politique, hétéro-social, hétéro-professionnel, hétéro-pédérastique, en fait hétéro-un-seul-sexe, pas hétéro du tout donc, n’ont pas de lieu pour dire, pour exprimer, pour élaborer et pour mettre en expansion leur homosexualité, ces pages au cœur de la Mensuelle, pour bien dire, Bernanos l’a dit pour d’autres, que la merveilleuse famille des homosexuelles constitue le sel du M.L.F. Cette mensuelle Des femmes en mouvements pour toutes les femmes, hétérosexuelles et homosexuelles. Notre pays, notre terre de naissance, c’est le corps maternel et c’est un corps de femme.

 

[1] C’est en 1982 que nous avons lancé une campagne pour la reconnaissance de la triple activité des femmes.

[2] Désormais, des femmes (reprise du journal de femmes homosexuelles, Désormais, qui venait de cesser de paraître) a constitué le cahier central de la mensuelle des femmes en mouvements Midi Pyrénées.

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