LA SITUATION ET NOTRE POLITIQUE
Géni(t)alité. Féminologie IV, des femmes-Antoinette Fouque, 2023
1975 a été décrétée par l’ONU « Année internationale de la femme ». Extraits du texte publié dans le numéro 2 du Quotidien des femmes du 3 mars 1975 (spécial « Contre l’année internationale de la femme »), jour où s’ouvrait à Paris un Congrès officiel de l’Année de la femme ; il était suivi d’un appel à manifester le 8 Mars.
Le Mouvement de Libération des Femmes, personne politique, corps vivant et révolutionnaire pour toutes les femmes qui y luttent, quelles que soient les impasses où les forces de l’ordre et les désirs inconscients les détournent, les réduisent, les exploitent dans n’importe quelle tendance, entre alliances et antagonismes, là, nous n’avons besoin ni des gouvernements, ni des partis, ni des organisations, ni des avant-gardes. Aucune demande, aucun désir, pour faire rencontre dans un déploiement multiple et contradictoire avec les forces vives qui vaincront les oppressions, abattront les murs, dissoudront les pouvoirs.
Par détournement de leurs désirs en un travestissement farcesque, de partout les pouvoirs convient quelques-unes privilégiées à l’exploitation des autres.
L’habit fait le moine et la fonction crée l’organe. Le détail où se fixe l’identification vitale de la fille au paternel, le nom où s’inscrit sa (il) légitimité ambiguë (Père-Mari ?) serviront d’intermédiaires fétiches à cette invitation mortelle.
Nous, les prénommées, n’avons pas été invitées, non qu’ils aient oublié de nous nantir, de nous violer, mais que désormais de tous ces dons funestes (Nom, Père, Mari) nous n’usons guère. C’est un risque de plus, une compromission prostitutionnelle de moins, et une joie de tous les instants.
Les robes de la sous-préfète aux champs, ces tricornes d’amazone (cf. les costumes de Balmain dans Le Monde), les sombreros de Zorro, les casquettes des guérilleras, non plus que les noms d’auteur, les titres honorifiques, professionnels, livresques, ne sont pas les détails mortifères où nous accrochons nos angoisses, les orthopédies centrifuges qui nous font tenir debout.
Pour nous les caractères grecs et chinois ne sont pas des spermatozoïdes chiffrés qui fécondent nos doctes discours sur tout le savoir du monde d’avant-hier à après-demain. D’Ouest en Est, l’Antiquité grecque, la Chine industrialisée ne sont pas nos re-morts, nos re-naissances à la métaphysique, instance suprême de la haute prostitution à laquelle on n’échapperait que par la folie, la mort ou par l’identification à la théocratie, quitte à prêter en retour au Surmoi son visage ou son sexe, tous deux spécularisables, de femme.
Qui écrit que l’appel de la Mère (mater, materia) est un appel de mort, constate et réaffirme un interdit de fait du système régnant patriarcal symbolique. L’angoisse, envers de la jouissance, la peur contre-perte, prononce la condamnation à y périr, à se suicider de celles qui voudraient répondre à cet appel. À avoir connu ce corps vivant, si peu, du moins peut-on toujours le condamner à mort pour le maintien de l’Ordre.
Un objet s’offre quand la place de la Mère, dite alors maintenant phallique, est tenue pas un homme travesti, objet pénien en remplacement du sein, court-circuit du vagin. Ah les nourrissants biberons des mères-maîtres à penser ! Loi du travestissement de règle dans un discours uni-libidinal : uni-forme de l’amiral, uni-sexe de l’amazone, uni-sujet de l’historienne ; ça n’est pas égal mais c’est tout pareil.
Pour nous, si cet autre appel, du vide, dont la culture a horreur, est irrésistible, nous nous jetterons sans hésiter, sans résister, armant tout au plus notre jouissance de quelque frein-parachute qui en permette une économie. Nous préférons apprendre à atterrir que renoncer à planer.
Nous ne disons pas que nous sommes contre l’ « Année internationale de la Femme », toujours même-au-pouvoir-quand elle se dit l’autre, dans les gouvernements, les partis, les organisations, les écoles, les avant-gardes. « Être contre » reste une posture d’opposition et de proximité, toujours de dépendance ré-active à un pouvoir qui se renforce à se dénoncer. L’ « Année internationale de la femme » officielle et officieuse est une opération contre révolutionnaire, une coalition de tous les pouvoirs qui vise à la paralysie et à la condamnation à mort du Mouvement, immobilisé pour être exploité, assassiné s’il ne veut pas se laisser violer (ô corps femelle encore trop maternel). Rappelons une fois encore les évidences : ce sont les forces en place, vampires tout proches, prêts à nous contaminer, qui sont contre un Mouvement des femmes révolutionnaire.
Nous ne nous laisserons ni encadrer ni assujettir : nous sommes ailleurs, pas dans l’ailleurs métaphysique et céleste, mais accrochées au réel jusqu’à la folie de le savoir, de le vouloir, de le rendre possible.