A LA RECHERCHE DE LA VOIX PERDUE
Géni(t)alité. Féminologie IV, des femmes-Antoinette Fouque, 2023
Extraits de l’entretien avec la réalisatrice Julie Bertuccelli, à l’occasion du tournage du film Antoinette Fouque. Qu’est-ce qu’une femme ? (collection « Empreintes », diffusé sur France 5 en octobre 2008, produit par Cinétévé et Fabienne Servan-Schreiber et distribué par France Télévisions).
À la fin des années 1970, ou au tout début des années 1980, il fallait que j’invente quelque chose. J’avais écrit un texte qui s’appelait « Privilèges de l’oral[1] » : je disais que si, pour les hommes, la structure phallique anal était dominante, pour les femmes c’était oral et génital, en deçà et au-delà de l’anal et du phallique. Je me disais que, sous le texte, et au-delà du texte, il y a la voix, inspiratrice et expiratrice, la voix comme origine, comme Orient du texte, comme le lieu où le texte se lève.
Évidemment, en disant ça, j’inventais ce que je savais déjà. Je connaissais bien Proust qui raconte la nuit incestueuse qu’il passe avec sa mère en prétendant qu’il est malade, son père, un père faible, qui le laisse être homosexuel, finalement, souffreteux, et qui dit à sa mère : « Mais restez donc avec lui, ma chère ». Pendant cette nuit-là, du fils malade, de la mère protectrice, du couple incestueux, elle lui lit un texte qu’avait acheté la grand-mère, la mère de la mère, pour son anniversaire, et qui est François le Champi de George Sand[2]. Et il dit : « Ma mère retrouvait pour lire ce texte les accents qui l’avaient dicté[3]. » Il y a donc une voix dans la voix : les accents qui ont dicté le texte, c’est non seulement la voix de George Sand, mais la voix de George Sand qui a entendu des conteurs raconter cette histoire… Et que raconte cette histoire ? Une histoire d’inceste, bien sûr, puisque François le Champi finira par épouser sa mère adoptive, qui s’appelle, devinez comment, Madeleine ! C’est la scène qui précède la scène de la madeleine. Tout ça, quand je l’ai découvert, ça n’était pas encore dans les critiques littéraires. Et, à la fin, dans Le Temps retrouvé[4], le livre que le narrateur va chercher sur l’étagère du prince de Guermantes, c’est François le Champi, dont il dit que c’est le premier roman qu’il a lu – mais il ne l’a pas lu, il lui a été lu, c’est un conte, et c’est le conte de À la recherche du temps perdu puisqu’il dit : « Maintenant, je vais pouvoir commencer à écrire », et évidemment les tomes de La Recherche sont terminés. La fin, c’est le début, c’est le début de l’écriture désirée, c’est la voix qui revient et c’est la voix, évidemment, de la mère.
[1] Texte publié dans la mensuelle des femmes en mouvements n°8-9 (Génésique. Féminologie III, op. cit.)
[2] George Sand, François le Champi, op. cit.
[3] Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, op. cit.
[4] Marcel Proust, Le Temps retrouvé, op. cit.