Rapport présenté au Symposium sur l’inconscient de Tbilissi (octobre 1979)

janvier 1981 |

Serge Leclaire

in Rompre les charmes. Recueil pour les enchantés de la psychanalyse (pp. 233-234), Inter Éditions, 1981

 

Depuis dix ans environ, c’est d’un autre type de mouvement que la psychanalyse, sans le savoir encore, s’anime ou se ranime : un mouvement politique qui, comme le mouvement ouvrier à ses commencements, telle la psychanalyse à ses débuts, suscite la dérision, le dénigrement, la condescendance paternaliste, si ce n’est l’hostilité ou même la répression la plus violemment sophistiquée : le groupe « Psychanalyse et Politique », animé par Antoinette Fouque.

Voilà que, d’un lieu dans la cité (polis), l’autre sexe, se met à parler par la voix et le corps de celles qu’en français on appelait « les personnes du sexe » ; elles commencent à s’organiser et à se manifester dans leur altérité concrète, interrogeant de ce fait tout un chacun sur ce qui constitue « l’autre », et qu’il importait tellement de maintenir dans quelque au-delà, super ou infra, vierge (dans le ciel), ou sorcière (en enfer), mère ou putain, toujours exilées par l’interdit d’être simplement femmes. Tout comme le sexe s’avérait être la question la plus quotidiennement présente de la structure, pareillement le mouvement des femmes s’impose comme la présence la plus quotidienne de l’autre. Et voilà que, sans la moindre autorisation, elles se mettent à braver l’interdit, si profondément ancré dans nos cultures, qui les maintenait dans un statut de moitié, d’ombre et d’exil.

On avait toléré, non sans condescendance, qu’elles assimilent les idéaux séculaires de l’ordre asexué des hommes, celui qui ne fait état que d’un seul genre, dit humain, où ne peut s’épanouir, au mieux, qu’une société de frères, fraternité sans sexe, bien entendu ; on avait donc toléré que nos « sœurs » (vivre comme frère et sœur veut dire vivre hors-sexe) deviennent ce qu’on appelle, à juste titre, des féministes, c’est-à-dire les représentantes féminines du genre unique. Mais que, maintenant, bravant l’adage « machiste » : « Sois belle et tais-toi », elles se mettent à parler, et même à penser, voilà qui outrepasse le seuil de tolérance des sociétés paternalistes de tous types. C’est que, ce faisant, elles bouleversent subtilement, mais radicalement, les fondements les plus soigneusement méconnus des idéologies dominantes, en imposant une autre pensée où le corps a sa raison et la dit. Elles s’affranchissent ainsi, sans retour possible, de leur enfermement séculaire et traditionnel dans les fonctions de donner leur corps pour le repos du guerrier, ou leur âme comme muse au poète, de faire de l’autre sous forme d’enfants, ad majorem Dei gloriam : elles donnent enfin lieu à de l’autre hors de portée de toute prise réductrice : des femmes, et du même coup des hommes.

Juste retour des choses, si l’on se souvient qu’aux origines de la psychanalyse, ce sont des femmes qui, se prêtant aux bons soins de « docteurs », ont permis la découverte de la psychanalyse, laissant une fois de plus aux hommes le bénéfice d’exploiter ce qu’elles avaient à dire.

Il n’y a point d’avenir du mouvement psychanalytique qui ne passe par la levée d’une hypothèque encore secrètement inscrite : celle du statut d’otage de l’hystérique (femme ou homme), dans son rapport à l’œuvre du Maître.

Documents en relation :

Février 2008 |

Œuvre vive

Laurence Zordan in Penser avec Antoinette Fouque, des femmes-Antoinette Fouque 2008   Profondeur de la pensée et limpidité […]